« Promis, demain j’arrête ! » Qui n’a jamais prononcé ces mots après une soirée trop arrosée, un repas trop copieux ou au moment des bonnes résolutions de la nouvelle année ? Les interdits sont partout dans notre société, d’où une culpabilité généralisée qui est devenue notre pire ennemi. Rencontre avec le Pr David Khayat pour comprendre qu’il est temps de retrouver notre liberté de santé !
Votre dernier livre est à contre-courant des injonctions sanitaires permanentes. Pourquoi ? Parce que la culpabilité est plus mauvaise pour la santé que de manger trop et ne pas faire assez de sport ?
Pr David Khayat : J’ai écrit ce livre parce que j’en avais marre d’entendre les gens dire « faut plus manger de sucre parce que ça nourrit les cellules cancéreuses ; faut plus manger de gras, ça fait de l’athérosclérose ; le sel, ça fait de l’hypertension ; la charcuterie et la viande, ça donne le cancer du côlon, le vin ça fait le lit de toutes les maladies ; le soleil entraîne des cancers de la peau… ». Trop, c’est trop ! A un moment donné, faut être raisonnable ! Si les métabolismes des gens sont différents, celui qui reçoit toutes ces injonctions est le même. Bref, l’homme ou la femme qui les entend n’en peut plus, car il ou elle ne sait plus comment mener sa vie. La personne essaye de tout faire bien, de faire tout ce qu’elle peut pour avoir un corps parfait, une hygiène de vie parfaite… mais elle n’y arrive pas. C’est comme si on lui disait qu’elle pouvait vivre éternellement en faisant ça. Car ne nous leurrons pas, le message derrière, c’est le fantasme de vaincre la mort, la maladie et la vieillesse. Donc les gens se mettent à penser que s’ils suivent tous ces conseils, ils ne vont peut-être plus mourir ni vieillir, ni être malades. Or, c’est complètement faux, ils vont vieillir, ils peuvent tomber malades et forcément ils vont mourir un jour !
Votre livre prône donc avant tout la modération et l’équilibre ?
Pr D.K. : En effet, ce n’est pas un livre de débauche, il prône au contraire l’équilibre. C’est dire aux gens, autorisez-vous des excès de temps en temps, car vous n’arriverez pas à suivre cette ligne dure qui consiste à maîtriser en permanence vos envies et vos pratiques. Et comme vous n’allez pas y arriver, ce qu’on appelle en psychologie «la tyrannie de l’idéal», vous allez forcément plonger la main dans votre portion de frites à un moment donné et vous culpabiliser. Et c’est cela qui est dangereux et qui pousse des jeunes filles notamment à vouloir perdre trop de poids, et parfois à tomber dans des maladies du comportement alimentaire, comme l’anorexie et la boulimie.
«On peut dire certainement que le corps n’ira pas bien si l’esprit ne va pas bien.»
Vous nous expliquez notamment les raisons de nos excès avec le cercle vicieux de la dépendance, de la frustration, de la récompense et de la compensation…
Pr D.K. : En fait, il y a 2 phénomènes qui vont se conjuguer. Le premier, c’est ce qu’on appelle « le circuit de la récompense ». Il apparaît dès le premier jour de la vie, car dans la bouche du nouveau-né, le premier récepteur qui apparaît c’est celui pour le sucré. On lui met le mamelon de sa mère dans la bouche, il reçoit une giclée de lait qui est très sucrée et là, il associe le sucre avec le bonheur d’être dans les bras de sa mère. Se crée alors dans sa tête le circuit de la récompense : « Je mange du sucre et je suis heureux ». Et toute sa vie, l’être humain va chercher à recréer ce circuit de la récompense. Le 2e phénomène, c’est l’histoire des « 3 cerveaux ». Le premier, le cerveau archaïque, le plus ancien, est le reptilien qui n’a qu’un objectif, un seul, celui de projeter dans l’avenir ses gênes, et donc, pour cela, il doit manger pour vivre et avoir des rapports sexuels pour se reproduire. Le 2e cerveau, le limbique, est lui le siège de la mémoire, des émotions et des souvenirs. Et le 3e, le néocortex qui est très développé chez l’être humain, est le siège de l’éducation, de la morale, etc. Le reptilien, il dit « faut manger », le limbique, dit « oui mais faut faire attention » et le néocortex, « ce n’est pas bien, tu vas grossir ». Donc, au début du processus, le néocortex va contrôler la situation, mais un temps seulement, parce que le reptilien finit toujours par gagner, car c’est le plus puissant de nos trois cerveaux. Donc c’est lui qui va vous obliger à craquer pendant votre régime !
En matière de prise de poids, vous parlez aussi d’autres facteurs ?
Pr D.K. : Oui, deux autres éléments vont apparaître et je parle-là de physiologie. Pendant des millions d’années – ce n’est plus vrai aujourd’hui dans les pays développés -, le risque pour l’homme c’était la famine. Pour survivre à ce manque de nourriture régulier, il a développé un mécanisme qui est la sécrétion d’insuline par le pancréas. Cette insuline, dès qu’elle voit passer un aliment dans l’estomac, elle est sécrétée et est là pour mettre de côté sous forme de gras ces calories qu’elle va stocker. Tous les aliments ne sécrètent pas la même quantité d’insuline, c’est pourquoi, il faut privilégier ceux à Index Glycémique (IG) bas, car ceux à IG élevé vont stoker beaucoup trop de gras. Le 2e phénomène physiologique est qu’il y a des récepteurs dans le cerveau pour les cannabinoïdes, les dérivés du cannabis. L’activation de ces récepteurs par nos hormones va faire disparaître la notion de satiété et vous allez manger au-delà de votre faim. Ces deux mécanismes, plus le circuit de la récompense, plus le cerveau reptilien, nous conduisent à être tentés de faire des excès en permanence.
Si tout part de notre mental, peut-on dire pour autant que si la tête va bien le reste suivra ?
Pr D.K. : Ah, on aimerait dire cela ! Les gens pensent qu’ils peuvent contrôler leur cancer avec leur esprit… malheureusement, ce n’est pas aussi simple que cela. On peut dire certainement que le corps n’ira pas bien si l’esprit ne va pas bien. Pour l’inverse, j’ai peur que non. Les deux sont extrêmement liés et il faut travailler sur les deux, d’où l’importance de la méditation, de la relaxation, ce que j’explique dans le livre. Et en même temps l’hygiène de vie : si vous faites un excès, compensez-le. Ne vous interdisez pas un excès de temps en temps, car votre esprit sera malheureux. Faites-le, mais compensez-le pour que votre corps soit bien.
Se déculpabiliser est donc la clé. Ne payons-nous pas le prix d’une culture judéo-chrétienne, voire aussi de nos fausses croyances, de nos idées reçues et des injonctions contradictoires ?
Pr D.K. : Bien entendu, mais il faut arriver à contrôler, maîtriser et relativiser cette culpabilité. Il est clair que cette éducation judéo-chrétienne et ce regard de la société plein d’injonctions renforcent cette culpabilité. La société nous dit, si vous n’arrivez pas à arrêter de fumer ou à maigrir, c’est votre faute. D’où l’importance de s’en détacher. Ce que j’explique dans le livre, c’est qu’il faut arrêter de culpabiliser les gens, parce que ça leur fait plus de mal que de bien. Il faut au contraire les aider, les accompagner et les conseiller. C’est notre rôle de médecin !
Vous nous proposez la méthode des petits pas. Ne pas vouloir réussir, tout de suite, c’est cela aussi la règle ?
Pr D.K. : Oui, parce que sinon, la plupart d’entre nous, nous n’y arriverons pas ! Par exemple, les gens confondent le sport et l’activité. Comment voulez-vous qu’une mère de famille qui travaille et qui a une heure de transport pour rentrer chez elle, avant de faire les courses, s’occuper des devoirs des enfants et préparer le repas, ait le temps de faire du sport? Quand on lui dit qu’il faut en faire 45 mn par jour, elle se culpabilise de ne pas y arriver ! Or toutes les études sur la prévention santé ne parlent pas de sport mais des bienfaits d’une activité physique. C’est là que la stratégie des petits pas est importante. Ces petits pas, c’est quoi ? Et bien, si vous habitez au 4e étage, c’est de prendre l’ascenseur jusqu’au 3e et de monter le dernier étage à pied. Et dans trois mois, vous vous arrêterez au 2e étage. Si vous prenez le métro, arrêtez-vous une station avant et faites les 800 derniers mètres à pied. Et dans quelques temps, deux stations. Arrêtez de vouloir tout changer le 1er janvier avec un tournant à 180°. Mettre la barre trop haut tout de suite, c’est l’échec assuré avec toute la culpabilité qui ira avec. En agissant progressivement, vous serez au contraire fier de vos progrès et vous avancerez sur le chemin du mieux-être et de la sérénité. C’est vrai pour l’activité sportive, mais ça l’est aussi pour l’alimentation et les addictions que sont le tabac et l’alcool.
«Mettre la barre trop haut tout de suite, c’est l’échec assuré avec toute la culpabilité qui ira avec. En agissant progressivement, vous serez au contraire fier de vos progrès et vous avancerez sur le chemin du mieux-être et de la sérénité.»
Votre objectif est de nous aider à nous libérer face à 7 péchés mignons. Quels sont-ils et comment y faire face ?
Pr D.K. : Ce sont les péchés mignons habituels comme la gourmandise, car c’est un livre sur l’hédonisme et le vrai épicurisme, celui qui prône l’équilibre. Je suis un Méditerranéen et j’adore le soleil, mais je suis aussi un spécialiste des cancers de la peau et des mélanomes malins. Donc, pour autant, il ne s’agit pas d’exclure le soleil, il faut simplement maîtriser l’exposition au soleil. Ce que je dis, c’est si vous avez envie de faire un petit péché mignon, faites-le, mais ne le faites pas tous les jours. Si vous faites de l’hypertension et que vous adorez l’eau gazeuse qui contient du sel, buvez-en, mais pas tous les jours et choisissez celle qui contiendra le moins de sel ! Ce sont tous ces petits trucs que j’explique dans mon livre. Ce sont toujours des conseils de petits changements qui vont peut-être vous aider à améliorer votre santé et votre situation.
Dans la 4e partie, on découvre une sorte de consultation personnelle et 4 profils types : les investis, les contradictoires, les incontrôlables et les économes. C’est important de comprendre son propre profil ?
Pr D.K. : Oui, en sachant qu’on est souvent un savant mélange de différents profils. Il faut juste savoir lequel domine. Mais ce sera plus compliqué pour « les complotistes », ceux qui ne croient en rien. Mon livre est écrit dans l’amour de l’être humain, avec beaucoup d’empathie. D’où l’intérêt de comprendre nos propres faiblesses et d’apprendre à les maîtriser pour arriver à une forme d’équilibre, « ni trop, ni trop peu ».
Quels sont vos cinq conseils de santé essentiels pour les femmes seniors après 50 ans ?
Pr D.K. : Dans le désordre, d’abord participez aux campagnes de dépistage contre le cancer (mammographie, recherche de sang dans les selles, bilan sanguin une fois par an, voir l’ophtalmo en prévention de la DMLA, le cardio pour surveiller l’hypertension, etc.) et consultez votre médecin traitant au moins une fois par an, car il est là pour veiller sur votre santé. Deuxièmement, pratiquez une activité physique qui soit compatible avec votre âge et avec votre corps. Privilégiez les sports avec d’autres personnes parce que ça permet de maintenir un réseau social, à un âge où la perte du conjoint ou le départ à la retraite vous amènent à un risque de solitude plus important. Troisièmement, veillez à une alimentation équilibrée. C’est très important. Vous les femmes, ce qui vous menace, c’est l’ostéoporose, la perte de la masse musculaire et la déshydratation. Donc buvez, favorisez les protéines et les laitages, complémentez-vous en vitamines C et D. Quatrièmement, pratiquez de la méditation, du yoga et de la relaxation de façon régulière et sérieuse, car ça augmente la qualité de vie et la longévité. En cinquième, soyez heureuses ! La vie est courte, alors profitez-en avec tous ceux que vous aimez : votre mari, vos amis, vos enfants et petits-enfants. Ce n’est plus le moment de vous priver. Faites-vous plaisir, regardez la vie avec bonheur, riez, aimez !
Nous vivons une période de charge mentale très lourde avec la crise sanitaire, économique et sociale, le manque de lien social mais aussi de projections sur l’avenir. Comment y faire face ?
Pr D.K. : Je dis à chacun « courage, ça va bien finir un jour ! » Moi, je suis un vrai optimiste. Je veux croire que tout ça va s’arranger. Si cette pandémie a un truc de positif, c’est de nous rappeler le caractère éphémère et fragile de l’existence. Alors, il faut profiter de la vie magnifique qu’on a, quand on se réveille le matin et qu’il fait plutôt beau, qu’on a quelqu’un qu’on aime à côté de soi, car tout cela, ça peut s’arrêter en 5 minutes. Ce n’est pas éternel, ce n’est pas garanti. Donc, la santé comme le bonheur, ça dépend beaucoup de nous !
Propos recueillis par Valérie Loctin.