A-t-on déjà assez de recul pour connaître l’impact de la pandémie sur notre cerveau ? La dépression peut-elle entraîner une perte de la mémoire ? Autant de questions qui méritent des réponses claires des meilleurs experts.
LES CONSÉQUENCES DU COVID…
Les résultats d’une étude publiée en octobre 2021 dans « The Lancet » montrent qu’en 2020 les cas de troubles dépressifs majeurs et troubles anxieux ont bondi respectivement de 28 % et 26 %, en France comme partout dans le monde. Les femmes ont été plus touchées que les hommes, et les plus jeunes ont été davantage concernés que les groupes plus âgés.
…ET DE LA SURCHARGE MENTALE
En raison des conséquences de la crise sanitaire sur la surcharge mentale des Français et à l’occasion de la Journée Européenne de la dépression, l’Observatoire B2V des Mémoires s’est penché sur les liens entre la mémoire et la dépression.
Francis Eustache, neuropsychologue, Président du Conseil Scientifique de l’Observatoire B2V des mémoires, et Catherine Thomas-Antérion, neurologue et Docteur en neuropsychologie, et membre du Conseil scientifique de l’Observatoire B2V des mémoires, ont décidé de nous éclairer sur ces questions.
Créé en avril 2013 par le Groupe de protection sociale B2V, l’Observatoire B2V des Mémoires étudie la mémoire sous toutes ses formes : individuelle, collective, numérique… Son Conseil scientifique réunit d’éminents chercheurs en neurosciences et sciences humaines. Les actions menées au sein de ce « laboratoire sociétal » visent à favoriser la prévention à travers deux grands axes : soutenir la recherche et diffuser au plus grand nombre les avancées de la science en vulgarisant l’information scientifique pour faciliter sa compréhension (observatoireb2vdesmemoires.fr).
LES RÉPONSES À NOS QUESTIONS
1. Comment définir la dépression ?
La dépression est un terme générique qui regroupe des situations très différentes. Elle concerne une personne jeune ou âgée, un épisode unique ou récurrent et on distingue les dépressions simples ou accompagnées ou non d’autres troubles psychiques (les comorbidités).
La personne dépressive présente une humeur triste, une perte des intérêts, une diminution de l’élan vital et de l’activité ; cette baisse de régime est ressentie comme source de fatigue. Le patient souffre d’un manque de confiance et d’estime de soi, de sentiments de culpabilité ou de dévalorisation. Les idées suicidaires représentent un symptôme inquiétant, avec un risque suicidaire proportionnel à la gravité de la dépression.
D’autres symptômes sont constants comme les troubles du sommeil et de l’alimentation.
2. Qu’est-ce qu’une maladie de la mémoire ?
La dépression n’est pas une maladie de la mémoire, comme la maladie d’Alzheimer qui est souvent considérée comme le prototype de ces maladies. Les troubles de l’humeur vont toutefois entraîner des troubles de la mémoire, du fait des difficultés de concentration et du ralentissement idéomoteur. Les insomnies modifient aussi la qualité de la consolidation, du fait des troubles du sommeil.
Dans la maladie d’Alzheimer, on observe des troubles authentiques de la mémoire, c’est-à-dire que la personne ne parvient pas à enregistrer (encoder) de nouvelles informations, tout en oubliant des informations et des souvenirs qu’elle avait pourtant acquises dans son passé.
3. La dépression peut-elle entraîner une perte de la mémoire ?
Dans la dépression, il s’agit plutôt de troubles « apparents ». La personne souffrant de dépression a des difficultés à rappeler spontanément les informations (dans les tests de mémoire, cela correspond aux conditions de rappel libre).
En revanche, et contrairement à la maladie d’Alzheimer, la personne dépressive est aidée par des indices de rappel (le début des mots présentés dans la phase d’encodage ou leur catégorie sémantique : c’était un nom d’animal, de fruit, etc.) alors que ces indices aident peu le patient souffrant de maladie d’Alzheimer.
En plus des mécanismes de la mémoire temporairement altérés, les contenus peuvent être modifiés. Les idées noires envahissent les souvenirs qui, à leur tour, envahissent les pensées de la personne dépressive entraînant une sorte de cercle vicieux.
Un autre point notable est la distorsion de la perception du temps et de la projection dans le futur avec l’impression d’un temps qui s’accélère.
Les souvenirs épisodiques biographiques sont rares, émoussés et « sur-généralisés », parce que le dépressif est replié sur lui-même pendant l’épisode, avec une émotion émoussée et entièrement centrée sur la tristesse.
4. Et sur notre cerveau, quelles sont les traces laissées par une dépression ?
Les recherches en neurosciences, qui utilisent notamment les méthodes d’imagerie cérébrale fonctionnelle, vont dans le même sens que les descriptions cliniques et montrent un dysfonctionnement des circuits qui unissent les régions préfrontales (en avant du cerveau), et les hippocampes, impliquées dans la mémoire épisodique.
Ces altérations sont bien en accord avec les difficultés de rappel (de récupération) qui sont observées dans les tests de mémoire. Ce ne sont pas vraiment les mécanismes de la mémoire qui sont touchés, mais davantage les stratégies qui permettent à la mémoire de bien fonctionner. Ces observations sont faites dans le cadre de la recherche sur des groupes de patients.
Elles sont peu utiles en clinique courante, chez un patient singulier, contrairement à la maladie d’Alzheimer, où les méthodes d’imagerie cérébrale jouent un rôle de premier plan dans le diagnostic.
5. Quel est l’impact de la pandémie sur notre cerveau et notre santé mentale ?
La pandémie de Covid-19 et les situations de confinement ont entraîné pour certaines personnes avec ou sans antécédent aucun de fragilité psychique, une véritable épreuve avec toutefois de grandes disparités, selon les groupes sociaux et selon les situations de confinement. De nombreuses études ont été menées à différents moments de cette crise sanitaire.
Une hausse de l’anxiété a notamment été mise en évidence, parfois suivie par des symptômes dépressifs. Il est important maintenant de suivre les enquêtes régulières comme celles menées par Santé publique France pour estimer les effets durables d’une telle situation anxiogène chez ces personnes.
Il a été également enregistré une augmentation des addictions, élément de vulnérabilité à la dépression et comorbidité fréquente, ce qui exige des études complexes prenant en compte de nombreux paramètres.
6. Les traitements psychotropes aggravent-ils les difficultés de mémoire ?
Il s’agit d’une question très complexe sur laquelle il est difficile de généraliser compte-tenu de la variablité des situations. On peut citer notamment : l’âge des patients, leurs comorbidités (c’est-à-dire les autres fragilités psychiques éventuelles ou la consommation de toxiques : alcool, cannabis, etc.), le type de dépression : réactionnelle à une épreuve de vie ou endogène, etc.
Le message consensuel notamment celui des Recommandations de l’HAS (2017) est de dire qu’une psychothérapie de soutien, réalisée y compris par le médecin généraliste, peut être proposée sans recours au médicament uniquement en cas de dépression modérée, et ce avec toujours une évaluation à 4 ou 8 semaines pour revoir la nécessité d’introduire ou non un traitement médicamenteux, selon l’efficacité.
7. Quelles sont les recommandations pour leur usage ?
Lorsque cela est le cas ou en cas de dépression sévère qui le nécessite d’emblée, il est toujours recommandé d’accompagner le médicament d’une psychothérapie et lorsque cela est possible d’un accompagnement de l’entourage. Le traitement antidépresseur est choisi en fonction : 1/ de la personne malade, 2/ des symptômes le nécessitant et toujours dans l’alliance médecin-malade.
Ces traitements ont peu d’effets secondaires cognitifs et le plus souvent les personnes témoignent en retrouvant sommeil, élan vital et en diminuant les idées sombres d’un meilleur fonctionnement. N.S.