La gestion des Ehpad en France pose un vrai problème de société. A quand la garantie de maisons de retraite, tant publiques que privées, qui respectent les personnes, afin de sortir enfin d’une logique de productivité à tout prix ? Il en va de la santé et du bien-être de nos aînés, comme des nôtres demain.
NOUS SOMMES TOUS CONCERNÉS
Trois ans d’investigations, 250 témoins, le courage d’une poignée de lanceurs d’alerte, des dizaines de documents explosifs, plusieurs personnalités impliquées… voici le résultat de l’enquête du journaliste d’investigation indépendant, Victor Castanet, dans son livre « Les fossoyeurs » paru chez Fayard début 2022. Une plongée inquiétante dans les secrets du groupe Orpea, leader privé mondial des Ehpad et des cliniques.
Truffé de révélations spectaculaires, ce récit haletant et émouvant met au jour de multiples dérives et révèle un vaste réseau d’influence, bien loin du dévouement des équipes d’aidants et de soignants, majoritairement attachées au soutien des plus fragiles. Personnes âgées maltraitées, salariés malmenés, acrobaties comptables, argent public dilapidé… Nous sommes tous concernés.
NE PAS GÉNÉRALISER
Attention cependant à ne pas faire de généralité, car de nombreuses maisons de retraite publiques et privées ne sont pas concernées par ces révélations, même au sein du groupe Orpea. De plus, il faut saluer la bienveillance, le courage et l’abnégation de la majorité du personnel de ces établissements, confrontés souvent malgré eux à des conditions de travail extrêmement difficiles.
Le problème révélé n’est donc pas celui d’une maltraitance par des hommes et des femmes mais bien celui d’une maltraitance systémique, due à la recherche de profit de certains établissements, et qui passe trop souvent par la réduction de coûts de fonctionnement (manque et non remplacement du personnel, manque de protections, économies faites sur les repas des résidents, etc.).
LES RÉPONSES DU GOUVERNEMENT
Face au scandale, le gouvernement se devait de réagir. C’était chose faite le 8 mars avec les annonces du ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, et de la ministre déléguée à l’Autonomie, Brigitte Bourguignon. Alors que, dès la sortie de l’ouvrage, deux enquêtes avaient été lancées par l’Igas et l’IGF sur les établissements du groupe Orpea, les ministres ont annoncé que tous les Ehpad de France, quel que soit leur statut juridique, feraient l’objet d’un contrôle complet dans les deux prochaines années. Une augmentation du nombre des vérifications importantes alors qu’actuellement, selon le ministère, seuls 10% des établissements sont contrôlés chaque année.
DESSINER L’EHPAD DE DEMAIN
La crise a montré toutes les forces mais aussi les faiblesses du modèle de l’EHPAD dans l’accompagnement des personnes âgées dépendantes, qui ont payé le plus lourd tribut lors de la pandémie. Les enseignements de cette crise imposent de repenser les EHPAD : moderniser et innover dans les structures, renforcer les soins, ouvrir des établissements de « nouvelle génération ».
C’est pourquoi le gouvernement a décidé d’investir 2,1 milliards d’euros dans les EHPAD, pour démultiplier les initiatives des acteurs sur le terrain (Agences régionales de santé (ARS), conseils départementaux, établissements, opérateurs…). Brigitte Bourguignon, ministre déléguée, chargée de l’Autonomie, vient de réunir architectes, urbanistes, artistes, élus et professionnels du médico-social ou du logement, pour partager les enseignements de la crise et dessiner ensemble l’EHPAD de demain.
L’APA ou Allocation Personnalisée d’Autonomie est une aide financière accordée aux personnes de plus de 60 ans et qui participe au financement du tarif dépendance en EHPAD. Son montant est fixé en fonction du degré de dépendance de la personne, défini par la grille Aggir.
QUID DU FONCTIONNEMENT ACTUEL
Rappelons que les EHPAD sont des Etablissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes. Ces structures sont spécialisées dans l’accompagnement des personnes âgées en perte partielle voire totale d’autonomie. Elles leur permettent de recevoir une aide spécifique quotidienne, délivrée par des professionnels.
Accessibles aux personnes âgées de 60 ans et plus, ces maisons de retraite médicalisées peuvent proposer une offre d’hébergement temporaire ou permanent. Le personnel médical de ces établissements est, la plupart du temps, composé d’un médecin coordinateur, d’infirmières, de psychologues, d’une équipe paramédicale et d’intervenants libéraux extérieurs.
LE PROFIL DES RÉSIDENTS
L’entrée en EHPAD se fait en moyenne à 84 ans et 5 mois. En 2012, 74% des personnes résidant en EHPAD bénéficiaient de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Six personnes sur dix bénéficiaires de cette allocation sont classées entre le GIR 1 et 2, c’est-à-dire qu’elles sont aux plus forts degrés de dépendance.
En 2012, le budget consacré aux soins de longue durée pour les personnes âgées avoisinait les 8,3 milliards d’euros. Avec une population vieillissante et un nombre croissant de personnes dépendantes, ce budget va continuer d’augmenter fortement.
DES BESOINS DE PLUS EN PLUS FORTS
Avec l’espérance de vie qui augmente, les seniors représentent une part de plus en plus importante de la population. En 2016, ils étaient déjà 15,7 millions soit 21% de la population française. Avec l’arrivée des « enfants du baby-boom », le nombre de personnes âgées devrait atteindre 22,6 millions en 2040, soit 32% de la population.
Mais vivre plus longtemps, ce n’est pas forcément mieux vieillir, car le nombre de personnes âgées dépendantes est en constante augmentation lui aussi. On projette une augmentation de 50% des personnes âgées dépendantes d’ici 2040.
UN MANQUE CROISSANT DE STRUCTURES
Y a-t-il assez d’EHPAD pour répondre à la demande ? Non, c’est évident. Malgré une offre importante de lits, le nombre de places disponibles en EHPAD est aujourd’hui limité. D’après l’UFC Que choisir, le délai d’attente avoisine les 8 mois en moyenne pour les EHPAD publics. Les EHPAD privés proposent des tarifs plus élevés mais le délai d’attente y est beaucoup moins long.
La croissance démographique et l’augmentation de l’espérance de vie ne font qu’augmenter la demande depuis des années. Ainsi, pour conserver la moyenne actuelle de 10 lits pour 100 personnes de plus de 75 ans, il faudrait doubler le nombre de lits d’ici à 2040. C’est un écart qui se creuse un peu plus chaque jour.
LES SOLUTIONS D’ANNIE DE VIVIE
Après « J’aide mon parent à vieillir debout », son guide pour les aidants paru en 2016 et tout juste republié dans sa deuxième édition, Annie de Vivie, fondatrice d’Agevillage et Agevillagepro et directrice des formations Humanitude vient de signer un deuxième ouvrage, « Vieillir debout : ils relèvent le défi ! ».
Ce nouveau titre paru en novembre dernier dresse le portrait de ces établissements qui ont choisi de s’engager dans la démarche pour obtenir le Label Humanitude, créé en 2010, par les premiers établissements ayant fait le choix de suivre les formations Humanitude, afin de pérenniser les enseignements de cette philosophie de soin créée par Yves Gineste et Rosette Marescotti et de déployer ce premier label de bientraitance.
Ces établissements pour personnes âgées, pour personnes en situation de handicap se sont formés à la philosophie et aux 150 techniques opérationnelles de l’Humanitude® qui apaisent 83 % des troubles. Ils respectent les cinq principes de l’Humanitude 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 : zéro soins de force sans abandon de soin ; respect de l’intimité, de la singularité ; vivre et mourir debout ; ouverture sur l’extérieur ; lieu de vie-lieu d’envie.
DES ÉTABLISSEMENTS PIONNIERS
Ces établissements pionniers montrent qu’il est possible de « vieillir debout, dans sa tête, dans son corps, dans la cité, jusqu’au bout », écrit Annie de Vivie. Que malgré la crise sanitaire, il est possible d’« être confiants, rassurés et même fiers de ces lieux, de cette filière d’aides et soins qui balisent le parcours de nos vies vulnérables ».
Mais attention, pas question de donner des leçons, de se positionner au-dessus des autres, de juger. « L’idée du livre est de partager leur expérience, leur parcours, leurs doutes », explique-t-elle en ajoutant que ces « pionniers du Label Humanitude ne sont pas magiciens. Ils sont comme les autres. Ils sont étranglés par les manques de ce secteur notoirement sous-doté, délaissé. Ils sont englués dans les pièges, les impensés autour de notre vulnérabilité. Ils se sentent démunis voire abandonnés devant les situations critiques que notre société leur demande d’accompagner avec des injonctions paradoxales à tour de bras : garantir la liberté et la sécurité, prendre en soin sans abandon et sans acharnement… »
De quoi se réconcilier avec ces lieux qui nous font peur, pour « aborder différemment l’avancée en âge et aider chaque génération à se projeter plus en confiance dans l’avenir ».
UN LABEL DE BIENVEILLANCE
Et c’est un fait, les 26 Ehpad Humanitude, attestent qu’il est possible, aujourd’hui, de respecter une démarche qualité, éthique, de bientraitance. Ils se sont engagés dans la démarche Humanitude et sur plusieurs années, ils ont formé leurs équipes du soin, de la vie sociale, de la restauration. Ils ont ainsi piloté la pérennisation des enseignements, des outils, des techniques qui favorisent le lien entre les personnes soignées et les soignants, au point d’apaiser 83% des soins difficiles, et des troubles du comportement.
L’INTÉRÊT DE FAIRE ÉCOLE
Ces établissements qui ont les mêmes dotations que les autres Ehpad, peuvent tous attester de l’intérêt de déployer ce label qui valorise les équipes, la qualité du prendre soin, la qualité de vie des personnes accompagnées mais aussi la qualité de vie au travail. Ils témoignent aussi d’impacts positifs : moins d’hospitalisations, de médicaments, d’absentéisme, plus de confiance, de cohérence.
Résultat, fort de la confiance des résidents et de leurs familles, le label Humanitude est devenu une marque employeur qui attire les talents. Sachez par ailleurs que ce label est obtenu après la visite sur site de 2 visiteurs-label habilités pendant 2 jours. Sa durée est de 5 ans avec l’obligation d’une auto-évaluation annuelle et une visite de suivi sur site au cours de ces 5 ans.
VERS UNE RÉFORME NÉCESSAIRE
Il est clair que la France aurait tout intérêt aujourd’hui à promouvoir le développement de ce label et de ses cinq grands principes dans toutes les maisons de retraite publiques comme privées. Une réforme du grand âge est également nécessaire pour des ratios suffisants et l’exigence d’un accompagnement de qualité partout. Etre fier de travailler en Ehpad et proposer une vie agréable aux résidents, debout jusqu’au bout, malgré tout : c’est possible! V.L.
CHIFFRES CLÉS EN FRANCE
Moyenne des retraites mensuelles en France : 1322 €
Répartition des Ehpad : 53% publics, 27% privés, 20% associatifs.
Tarif hébergement moyen en EHPAD :
- 1 810 €/mois dans le privé
- 1 708 € /mois dans le public
Résidents en EHPAD :
- 3 occupants sur 4 sont des femmes
- ont en moyenne 85 ans
- Et restent 2 ans et demi
L’offre d’EHPAD en France :
- 7883 établissements
- 557 461 lits
- 5 688 lits en moyenne par département
- 70 lits en moyenne par établissement.