Il y a mille façons d’aimer sa mère ; il y a mille façons d’aimer sa fille. On a toutes un témoignage à apporter sur le sujet, surtout quand on est mère d’une fille soi-même. La simplicité n’est pas de mise dans ce rapport qui peut être soit fusionnel, soit opposé, soit rival. Le père, lui aussi, joue un rôle complexe dans ce drôle de couple à trois que forment des parents avec leur fille.
PAS SEULEMENT LA FILLE DE SA MÈRE
Pour les psys, le chemin pour conquérir son identité féminine, reste plus ardu que celui de l’identité masculine. « La mère est source de vie toute puissante, elle est le premier objet d’amour absolu, fusionnel. Le petit garçon sait qu’il est différent de sa mère et peut lui échapper. La fille en revanche, se perçoit dans une similitude sexuelle et se sent très vite comme une reproduction, une miniature de sa maman. Elle va se débattre avec cela longtemps » analyse le psychiatre Aldo Naouri dans son livre « Les filles et leurs mères ».
LE FAMEUX COMPLEXE D’ŒDIPE
Pour devenir une femme bien dans sa peau, et ne pas rester la fille de sa mère, la jeune femme va mettre en place différentes stratégies, dont le fameux complexe d’Œdipe, cette fameuse tentative de séduction du père. Une démarche qui illustre le désir de différenciation d’avec la mère, souvent lourde de conséquences. Cela peut fausser leurs rapports pendant des années.
QUAND LA COMPLICITÉ EST BIEN RÉELLE…
Dans certains couples mère-fille, le lien est évident et naturel. La fille sait que sa mère sera toujours là. Chacune est consciente de l’amour qu’elle ressent pour l’autre. Même si les filles n’adoptent pas systématiquement les valeurs de leurs aînées, bien que celles-ci aient à cœur de les transmettre, elles témoignent d’une grande admiration pour leur mère. Une réelle complicité qui se traduit par des discussions : drogue, sexe, contraception, travail, politique, autant de thèmes autrefois tabous qui sont abordés aujourd’hui ouvertement. Bien sûr la relation n’est pas sans nuage, mais les désaccords ne portent pas sur des sujets importants. Certaines d’ailleurs peuvent se chamailler sans cesse, et passer aussi des heures à se téléphoner.
QUAND LE CONFLIT ARRIVE…
En particulier à l’adolescence, le conflit est souvent la règle. « Ce moment-clé de l’existence est difficile : pour devenir une femme, il faut s’éloigner de sa mère » explique la psychanalyste Caroline Eliacheff, dans son livre « Mères-Filles ». Le conflit permet alors à la jeune adolescente de quitter sa position d’enfant et de prendre sa place. Une étape difficile à franchir… Dans d’autres cas, les mamans souffrent du syndrome de la jeunesse éternelle. Laisser leur fille devenir adulte représente un véritable danger : celui de se voir vieillir. Elles préfèrent évidemment rester des éternelles copines et se comportent comme telles. Devenir soi dans cette relation-là exige à la fois qu’on s’accommode de cette donnée tout en prenant ses distances…
QUAND LA MÈRE DEVIENT CONFIDENTE…
Certaines mères ont tellement peur que leur fille vive en dehors d’elles, qu’elles la « phagocytent » dès la petite enfance. Confidentes de tous ses chagrins et de tous ses bonheurs, elles lui confient aussi leurs insatisfactions et leurs attentes. Par la suite, il est bien difficile, pour la fille, de distinguer sa propre émotion de celle de sa mère, puisque les deux femmes ont toujours eu une relation fusionnelle. Ainsi, la jeune fille amoureuse se confiera sans hésiter à cette mère à laquelle on peut tout dire, et celle-ci “ qui connaît sa fille parce qu’elle l’a faite ” la conseillera ou l’orientera.
ATTENTION À UNE TROP GRANDE FUSION
Amie avec sa mère, la fille en devient aussi la prisonnière, sans le savoir. Car sa structure affective inclut ce lien fusionnel. Pas question d’écarter sa mère, même lorsqu’elle aura une vie de couple : elle connaît de l’intérieur la douleur qu’éprouverait sa mère, si on l’évinçait, et n’envisage pas d’être responsable de cette souffrance. Dans un lien fusionnel mère-fille, faire souffrir sa mère, c’est aussi se faire souffrir soi.
ÉCHAPPER À UNE TROP GRANDE PROXIMITÉ
Certaines mères et filles se téléphonent tous les jours, voire plusieurs fois par jour. Rien de ce qui est intime pour l’une n’est étranger à l’autre. Inversement, lorsque la fille souffre, la mère est toujours là pour la remettre d’aplomb. Ce lien, qui pourrait paraître idéal, rejette en fait les autres hors d’une sphère d’intimité inégalable. Ainsi le partenaire amoureux et sexuel n’occupe alors qu’une place secondaire auprès de la fille. Il peut même être amené à séduire la mère pour gagner la fille, comme si la mère et la fille ne faisaient qu’une, ou parce que le regard de l’une oriente celui de l’autre. Tant que mère et fille sont en accord, tout va bien pour elles. A partir du moment où la jeune fille prend conscience de ne pas avoir sa vie propre, et veut privilégier un autre amour que celui qu’elle a pour sa mère, les relations se dégradent violemment. Partagée entre la compassion pour sa mère et la haine envers celle qui lui refuse une vie en dehors d’elle, elle risque de passer sa vie à s’arracher de cette mère omnipotente dans une crise d’adolescence sans fin.
DE LA MÈRE FUSIONNELLE À LA MÈRE ABUSIVE
Certaines mères ne renoncent jamais à garder une place dominante auprès de leur fille. Elles conseillent, jugent, critiquent, sans comprendre qu’elles doivent lâcher prise. Parfois, elles entretiennent chez leur fille un sentiment de faiblesse, pour que celle-ci continue à s’appuyer sur elles. La fille adulte, se sentant coupable de ne pas être à la hauteur de sa mère, ne se donne le droit, inconsciemment, ni de réussir sa vie amoureuse ni de se réaliser professionnellement. Lorsque les relations mère-fille sont à ce point endommagées, lorsque l’emprise affective de la mère sur la fille est insurmontable, celle-ci ne doit pas hésiter à avoir recours à un psychothérapeute qui l’aidera à se séparer symboliquement de cette mère trop dévorante.
TELLE MÈRE, TELLE FILLE…
On regarde souvent la mère pour imaginer le devenir de sa fille, mais même si mères et filles se ressemblent, elles sont tout de même différentes ! Et quand elles nient être identiques, voulant se démarquer, c’est l’inconscient qui les dirige vers la même voie. Il est intéressant de savoir si la mère se comporte plus comme mère que femme (ou l’inverse), les deux à la fois, ou ni l’une ni l’autre. L’image qu’en aura la fille de son devenir féminin, son rapport aux hommes, sa réalisation de future mère, en sera fortement infléchie.
À LA BONNE PLACE
Une « plus femme que mère » l’est dans une première période avec son enfant, car le post-partum le demande. Mais elle ne doit pas oublier de rééquilibrer le pôle sans toutefois l’inverser : être mère pour sa fille, rester femme pour son amant ! Lorsqu’elle est « plus mère que femme », elle peut empêcher sa fille d’accéder à sa propre féminité, mais aussi l’amener à lui être redevable voire coupable d’avoir été aimée et choyée. La « plus femme que mère » a, elle, tendance à exclure sa fille, au profit de son mari, de son travail, de sa vie sociale… pouvant la rejeter violemment. En voyant ces mères faisant de l’ombre à leur fille, celles jalouses… on peut comprendre l’importance de se dégager de ce poids trop lourd et invalidant.
FILLE À PAPA…
Le lien avec le père est aussi important et peut se décliner en fonction des stades évolutifs (œdipe, puberté…), car en fonction de sa maturation psychique, des désirs conscients ou inconscients, la perception et le rapport de la fille envers son père vont varier. Un homme ayant bien traversé son oedipe, ayant renoncé consciemment à sa mère, peut aimer une femme, mère de sa fille, et ne pas trahir sa fille en lui interdisant une dimension. La fille peut alors se détacher, comme le fruit d’un arbre. Si le père n’assume pas sa position, est absent et n’existe pas, la fille se questionne et peut soit rester du côté de la mère, soit être en recherche permanente d’un modèle masculin qu’elle n’a pas connu.
DU RÔLE DU PÈRE
Si le père est macho, générateur d’une violence physique, mais aussi verbale, la fille banalisera la violence et deviendra violente envers sa mère dévalorisée. Penser qu’être une femme n’est rien (car pas un homme), peut déboucher sur une rivalité avec le père (revendication phallique), en mimant son père (études…). Aujourd’hui, on observe des familles monoparentales sans présence d’un père, réduit à un statut de simple géniteur, la procréation assistée déplaçant la notion de père au donneur de sperme…
LA PÉRIODE CRUCIALE DE L’ADOLESCENCE
Les psys sont tous d’accord. Il faut qu’il y ait conflit entre une adolescente et sa mère, pour que la fille puisse se construire une identité bien à elle. Le conflit générationnel est donc incontournable, sauf si on veut faire de sa fille un clone de soi-même ! Les adolescentes doivent pouvoir se frotter à leurs mères, les bousculer, leur reprocher des choses. C’est dans ces secousses qu’elles vont trouver leur façon d’être des femmes et de faire leur vie. Fuir le conflit pour avoir la paix, en laissant une ado vivre sa vie ou dépasser les bornes, revient donc à démissionner de son rôle de mère. Les mamans doivent donc toujours poser les limites, exiger du travail, du respect, mène si cette attitude doit mener au conflit…
QUAND VOTRE MÉRE VIEILLIT
Maryse Vaillant, psychologue clinicienne, auteure de « Il n’est jamais trop tard pour pardonner à ses parents », (Ed. de la Martinière), explique que la première prise de conscience du vieillissement de ses parents a des répercutions très saines. Elle survient généralement au moment de l’adolescence, au moment, en fait, où l’on ressent le besoin de se séparer d’eux. « Percevoir ses parents autrement, répond aussi à la nécessité que l’autre devienne autre, afin que l’on devienne soi. C’est pourquoi, en plein processus de séparation, un adolescent va soudainement réaliser que ses parents, qu’il croyait éternellement jeunes, vieillissent. Qu’ils vieillissent dans leur propre histoire. Et que ce vieillissement incite le jeune à s’inscrire alors dans son histoire propre. »
QUAND LES RÔLES S’INVERSENT
Les filles de personnes très âgées ont parfois le sentiment que l’ordre des générations s’est inversé. Cette femme, qui nous a nourri, bercé, déposé des centaines de fois à l’école, ne peut plus se lever seule. Il faut alors soutenir moralement, physiquement et parfois matériellement celle qui nous a donné la vie, tout en encaissant son déclin physique. Cette étape survient souvent à la cinquantaine, au moment où l’on est soi-même en pleine réorganisation psychique. « Il s’agit en effet d’un deuil subtil pour les enfants, reconnaît Bernard de Peufeilhoux, psychothérapeute. Il faut accepter que la mère d’avant ne soit plus, pour être capable de reconnaître une “nouvelle mère”. »
UN CADEAU DE LA VIE
Il n’est pas toujours facile de faire la part des choses, car l’avancée en âge de nos parents exacerbe parfois des traits de caractère ou des difficultés relationnelles préexistantes. Il ne faut pas alors s’enfermer dans l’aigreur ou la tristesse, mais plutôt voir dans cette situation le plus beau cadeau que nous fait notre maman : nous aider à nous séparer d’elle, tout en douceur, en commençant à faire le deuil, et accepter à notre tour d’être la prochaine sur la liste… Car nous sommes tous mortels et ce fil comme ce chemin de transmission nous aident à l’accepter… et donc à lâcher prise.
Vous l’aurez compris : les rapports mères-filles ne sont pas simples, comme il n’est pas facile d’apprendre à être parent… Nous commettons toutes des erreurs, car nous sommes avant tout des êtres humains. L’important au bout du compte, c’est que l’amour soit au cœur de la relation. V.L.