Quel bonheur de rencontrer Janine Boissard dont les romans à succès ont conquis plusieurs générations de lecteurs ! Cette discrète «reine du best-seller à la française» écrit depuis toujours, comme elle respire, pour vivre. Nous la retrouvons aujourd’hui toujours pleine d’énergie à l’heure de la sortie de son nouveau roman.
Comment vous est venue cette idée d’un roman à suspense à partir d’un « ictus amnésique », cette perte de mémoire après un choc ou un traumatisme psychologique ?
Janine Boissard : Cette idée m’est venue d’une part quand j’ai écrit « Une femme, le roman d’une vie » (Ed. Flammarion), parce que je me suis rendu compte en écrivant que j’avais zappé une dizaine d’années de mon existence en raison de circonstances douloureuses. J’avais fait le noir sur ma mémoire. D’autre part, une autre histoire m’a frappée et m’a conduite à écrire ce roman. C’est celle d’un de mes neveux qui est devenu sourd à l’âge de 15 ans et qui a retrouvé son ouïe quand ses parents se sont séparés. En fait, il n’était pas sourd du tout, mais son cerveau avait choisi de fermer ses oreilles afin de ne plus entendre les disputes incessantes de ses parents. Quand elles ont cessé, il a pu de nouveau entendre…
Comment avez-vous travaillé pour construire ce roman et cette histoire ?
J.B. : La première chose pour moi, c’était d’abord de choisir le lieu. L’histoire se déroule à Grasse, en Provence, dans la ville des parfums. C’est très symbolique quand on sait combien un parfum a cette capacité à raviver des souvenirs. A titre personnel, je me souviendrai toujours de l’odeur du bitume quand, petite fille, j’allais à l’école au printemps, et que le soleil revenait aux beaux jours. Cette odeur est ancrée en moi et chaque fois que je la sens à nouveau, les souvenirs de cette époque me reviennent à l’esprit. Grasse s’est donc imposée à moi. J’y suis allée pendant huit jours pour m’imprégner des lieux, des parfums, des détails… Et j’ai été formidablement bien reçue ! Je pense que c’est indispensable pour un écrivain de se rendre sur place, car on ne peut pas seulement se documenter sur internet. On ne trompe jamais le lecteur !
Avez-vous travaillé avec des psys ?
J.B. : En fait, j’ai eu la chance de rencontrer à la fête du livre de Brive une de mes lectrices avec laquelle j’ai sympathisé, comme c’est le cas très souvent, car j’ai des lecteurs formidables dont je deviens souvent très proche. Quand elle m’a dit qu’elle était psychiatre à Paris, je lui ai demandé si elle accepterait de m’aider pour relire les séances entre mon héroïne Aude et son psy. Elle a accepté et je l’en remercie vivement, car elle m’a beaucoup aidée à comprendre le fonctionnement des séances d’analyse.
Ses premiers romans ont été publiés par René Julliard, sous son nom de femme mariée, Oriano. C’est avec « B comme Baptiste« , en devenant la première femme à entrer dans la « Série Noire« , chez Gallimard, qu’elle connait enfin le succès. Dans la foulée, Janine Boissard apprend le métier de scénariste et participe à l’adaptation de son troisième « polar » : « OK Léon » qui, sous le titre de « OK patron« , donnera son premier rôle à Jacques Dutronc. En 1977 (elle a déjà 4 enfants), « L’esprit de famille« , publié chez Fayard sous mon nom de jeune fille car elle vient de divorcer, obtient deux voix au Fémina et lui apporte un vaste public populaire. Il devient saga et les premiers tomes, adaptés et dialogués par l’auteur, font l’objet d’un feuilleton sur TF1 qui obtient un succès considérable, avec, pour principaux interprètes Maurice Biraud et Denise Grey. Depuis, le succès ne l’a plus quittée et les best-sellers se sont enchaînés : Une femme en blanc, Marie-Tempête, N’ayez pas peur, nous sommes là, Au plaisir d’aimer…
C’est un beau personnage de femme que vous nous offrez encore dans ce nouveau roman. Qu’est-ce qui vous a intéressé chez elle ?
J.B. : Toutes mes héroïnes sont un peu moi. Chez Aude, qui rêve beaucoup et qui se trompe souvent, il y a de la naïveté. Peu à peu, au fil de mon écriture et des pages, son personnage s’est construit. C’est toujours le même processus quand j’écris un roman. Au début, c’est moi qui donne vie à mon héroïne, mais peu à peu, elle existe par elle-même, m’échappe et arrive même à me surprendre. Je lui ai donné un père formidable et une mère pas très tendre. Mes sœurs m’ont fait remarquer que je fais souvent cela dans mes romans. Sûrement parce que ça parle de ma propre histoire… Il n’y a pas plus « censeur » que les sœurs ! (rires)
« J’ai la chance d’être devenue un auteur populaire parce que je raconte des histoires qui touchent les gens et – je l’espère – leur apportent un peu d’espoir. »
Les souvenirs, le couple, la famille sont au cœur de ce roman, mais aussi le poids du passé, les non-dits et les secrets. Quel est votre rapport à la vérité ? Toute vérité est-elle bonne à affronter ?
J.B. : Toute vérité n’est pas bonne à dire, mais on ne se construit pas si on est dans le flou. Pour bien vivre, il faut se connaître. Et pour se connaître, il faut comprendre son passé. Dans toutes les familles, il y a plein de secrets de famille, des non-dits, des évènements cachés. Et on a tous tendance à cacher nos propres secrets. Même si je n’aime pas l’étalage de la vie privée, pouvoir se confier à quelqu’un et ne pas tout garder pour soi, surtout quand c’est lourd à porter, me semble essentiel. Car cette personne à qui l’on fait confiance peut nous aider à y voir plus clair. C’est le rôle des psys notamment.
Pourquoi avoir choisi le roman comme fil conducteur de votre œuvre ?
J.B. : Je n’ai pas choisi ! Que l’on soit écrivain, éditeur ou artiste, on a le gène le la création. On a envie et besoin de créer pour vivre. Souvent, cela peut venir d’une blessure, comme dans mon cas. J’aime à dire que l’art est une blessure devenue lumière. En fait, j’ai toujours voulu faire partie de cette famille des écrivains. Et j’aime qu’on me considère comme un écrivain populaire. Je trouve cela totalement positif. Tous mes modèles en littérature – Balzac, Zola, Victor Hugo… – même s’ils étaient de très grands écrivains, étaient des romanciers populaires. J’aime parler de ce que je vis, de cette matière qui constitue nos vies de tous les jours. Et j’aime plus que tout les histoires qui finissent bien, les fins heureuses, les « bonnes » fins.
Pensez-vous que ce nouveau roman sera adapté à la télévision ou au cinéma comme d’autres de vos créations ?
J.B. : Je pense en effet que ça ferait un bon film et je rêverais bien entendu d’être adaptée une nouvelle fois à l’écran. Le problème aujourd’hui, c’est que produire un film en France coûte très cher et que ce n’est plus aussi simple qu’il y a vingt ans. J’ai été scénariste pendant de longues années. Et c’est vrai que c’est magique de voir sa propre histoire écrite sur le papier prendre vie au cinéma ! Avoir la chance de pouvoir voir ses personnages sur petit ou grand écran est une expérience extraordinaire. On peut les regarder vivre, les toucher, les entendre à haute voix. C’est merveilleux ! Comme Gabin le disait « un film, c’est une histoire, une histoire et encore une histoire ». C’est cela ma vie, écrire et raconter des histoires, des destins de femmes exceptionnelles. J’ai la chance d’être devenue un auteur populaire parce que je raconte des histoires qui touchent les gens et – je l’espère – leur apportent un peu d’espoir.
Vous êtes la première femme à être entrée dans la « Série noire » chez Gallimard. A quel moment vous êtes-vous sentie vraiment écrivain ?
J.B. : Etre écrivain, je n’en ai jamais douté. C’est en moi depuis toujours. Etre reconnue, être célèbre, ça je ne l’imaginais pas. Ecrire, c’est ma vie. L’écriture est à la fois ma passion, un métier exigeant et ma façon de respirer.
Vos deux thèmes de prédilection sont la famille et les destins de femmes. Est-ce que ça tient à votre propre histoire ?
J.B. : Je ne me suis jamais posée la question, figurez-vous ! Je suis passionnée de tout ce que je vois, de tout ce que je lis, de tout ce que je vis. J’ai de nombreux petits-enfants qui m’apportent beaucoup. Je suis passionnée de rencontres. Chaque nouvelle rencontre m’apporte toujours quelque chose. C’est tout cela qui me nourrit.
« Ecrire, c’est ma vie. L’écriture est à la fois ma passion, un métier exigeant et ma façon de respirer. »
Quel regard portez-vous sur le mouvement de libération de la parole des femmes aujourd’hui autour des problématiques de harcèlement ?
J.B. : Je suis plutôt écœurée par le hashtag « Balance ton porc ». Je trouve que ça va trop loin. Si je défends de toutes mes forces et de tout mon cœur toutes les femmes victimes de viol ou de harcèlement, car ces violences sont inadmissibles et doivent être sévèrement punies par la loi, je trouve qu’il faut cependant mesure garder. Tous les hommes ne sont pas des agresseurs pour autant ! Je trouve toute cette ambiance et ce climat épouvantables. Tout ce qui se passe sur les réseaux sociaux est exagéré. On ne doit pas mettre tous les hommes dans le même sac, ni se priver du marivaudage. C’est imbécile ! Peut-être que c’est mon éducation catholique qui veut cela, je suis fondamentalement pour le pardon.
Dans votre propre histoire, avez-vous pardonné à vos parents ?
J.B. : Je ne leur en ai jamais voulu. Quand à maman – je le raconte dans mon précédent livre – c’est elle qui m’a demandé pardon. Je crois que c’est vital de se mettre en règle avec ses parents avant qu’ils ne disparaissent. Le pardon est essentiel. Le demander comme l’accepter.
Vous considérez-vous comme féministe aujourd’hui ?
J.B. : C’est plutôt ma façon de vivre qui a construit mon féminisme. Je suis très reconnaissante aux féministes d’avoir fait avancer la condition des femmes en France. Car vous savez, j’ai vécu l’époque où l’on devait demander l’autorisation à son mari pour tout ou presque : ouvrir un compte en banque, travailler… Elles ont permis l’immense victoire de décider d’être enceinte ou pas. En revanche, je ne suis pas féministe si ça doit se transformer en agressivité contre les hommes. D’autant plus que nous sommes plus fortes qu’eux ! Les hommes ont donc droit à toute notre tendresse.
« Plus on maintient son esprit et son corps alertes, plus on a de chance de vivre longtemps en forme et sereine. »
Quel regard portez-vous sur les femmes de plus de 60 ans aujourd’hui ? Qu’avez-vous envie de leur dire ?
J.B. : Que la vie continue et qu’elle réserve encore de très belles surprises à chaque âge de la vie ! On le voit tous les jours avec des femmes encore en pleine forme qui retrouvent même l’amour après 70 ans. C’est formidable ! Les femmes d’aujourd’hui sont beaucoup plus libres et mieux dans leur corps. Elles parlent même de plaisir ! Quand on n’a « que » 60 ans aujourd’hui, on a beaucoup de chance, car la vie est encore ouverte ! Et je peux en parler en connaissance de cause, car j’ai dépassé les 80 printemps ! (rires)
Quels conseils donneriez-vous à nos lectrices pour bien vivre leur âge et le temps qui passe ?
J.B. : Qu’elles profitent à fond de ce temps qui leur est donné pour s’occuper d’elles, trouver leur propre épanouissement dans de nouvelles activités, de nouvelles rencontres, l’apprentissage de nouvelles connaissances. C’est également merveilleux et très épanouissant de s’occuper de ses petits-enfants, mais aussi de donner de son temps pour aider les autres au sein d’associations. On est tous doué pour quelque chose, et après 60 ans, c’est le bon moment pour se lancer. C’est également essentiel de ne pas rester chez soi, mais au contraire de s’ouvrir, de bouger, de faire du sport, de jardiner, de voir des films et des expositions, de voyager ! Plus on maintient son esprit et son corps alertes, plus on a de chance de vivre longtemps en forme et sereine.
Avec un tel succès, vous auriez pu arrêter d’écrire depuis longtemps. Heureusement, pour le plus grand plaisir de vos lecteurs, vous continuez. Pourquoi ?
J.B. : Parce que je veux mourir en scène la plume à la main ! (rires) Je n’ai pas envie de vivre si je ne peux pas écrire. Je ne peux pas passer une journée sans écrire. Je me lève chaque jour à cinq heures du matin pour cela. L’écriture est devenue une drogue douce dont je ne pourrais plus me passer. C’est plus important que tout, même si j’aime profondément ma famille.
Avec une telle carrière, une existence si bien remplie, quelle est votre philosophie de vie aujourd’hui et votre recette personnelle du bonheur ?
J.B. : Il faut avoir l’amour de la vie et le désir d’avancer ; ce que j’ai en moi et que je pourrais appeler « le désir d’amour ». On naît chacun avec une plus ou moins grande force de vie. L’amour est la grande chose et la grande chance de la vie. Quant au bonheur, ce sont des instants. Donc pour cultiver tous ces petits instants de bonheur, je continue à suivre la recette de ma maman : « Quand tu te réveilles le matin, regarde ta petite lumière de la journée et vise-là. Et si tu ne la vois pas, crée-la ». J’ai suivi toute ma vie son conseil et il continue à m’être très précieux.
Propos recueillis par Valérie Loctin.