Psychiatre, spécialiste notamment du sommeil, le Dr Lemoine prône une médecine globale qui réconcilie le corps et le cerveau. Parce que les temps sont difficiles pour tout le monde, il propose de puiser aussi dans le meilleur des méthodes alternatives pour nous aider à tenir le choc au quotidien. Rencontre.
Pourquoi ce nouveau livre ? Parce que cette crise sanitaire et environnementale nous impose d’aller de plus en plus vers une médecine holistique et naturelle ?
Dr Patrick Lemoine : Cela fait déjà longtemps que je milite pour que la médecine occidentale accepte enfin de reconnaître son impuissance devant les maladies dites fonctionnelles. Je suis un allopathe. Les progrès de la médecine dans un grand nombre de domaines sont bien entendu extraordinaires. Mais par ailleurs, il faut savoir que 60% des consultations en médecine générale sont dues à des troubles fonctionnels : insomnies, mal au dos, fatigue… Et pour ces maux du quotidien, la médecine fonctionnelle prescrit des traitements qui n’apportent pas grand-chose de positif, voire même entraînent des effets secondaires.
Oui, mais comment distinguer les praticiens sérieux des charlatans dans toute cette panoplie de médecines douces et de thérapies dites alternatives ?
Dr P.L. : Tout le fond de mon dernier livre, c’est cela en effet. Je pense qu’à partir du moment où la médecine allopathique ne fonctionne pas, il faut se tourner vers des méthodes alternatives, car il faut toujours laisser sa chance à l’organisme de trouver en lui-même la source de la guérison. Toute ma réflexion est partie de l’effet placebo. On sait maintenant que le placebo marche en incitant l’organisme à fabriquer des médicaments endogènes. Par exemple, dans la douleur, on va fabriquer des endorphines. La médecine occidentale devrait donc prendre un peu plus modèle sur la médecine chinoise, qui est préventive, en donnant des conseils d’hygiène de vie, d’alimentation, de phytothérapie, afin que l’organisme arrive à mettre en route son autoguérison.
A titre personnel, docteur, quelles sont celles que vous utilisez ?
Dr P.L. : C’est très clair. Je suis un spécialiste du sommeil et comme je suis arrivé à un âge certain, comme tout le monde, la qualité de mon sommeil s’en ressent. Evidemment, je n’utilise jamais ces grands poisons que sont les somnifères, car ça n’aide pas à dormir, ça anesthésie. Donc j’utilise effectivement d’une part l’hygiène des rythmes, d’autre part la mélatonine comme complément alimentaire à libération prolongée, mais également parfois des plantes.
«A partir du moment où la médecine allopathique ne fonctionne pas, il faut se tourner vers des méthodes alternatives, car il faut toujours laisser sa chance à l’organisme de trouver en lui-même la source de la guérison.»
Vous évoquez dans votre livre toutes les peurs auxquelles nous sommes confrontés : peur de la contagion, de l’avenir, de la mort, de la dépendance, du vide, etc. Elles entraînent de nombreux troubles. La première des choses est-elle d’en prendre conscience pour pouvoir agir dessus ?
Dr P.L. : Oui, c’est même tout l’objectif du livre. Les peurs se multiplient et le confinement a fait exploser toutes ces peurs. La peur est d’une certaine manière légitime, elle a été augmentée par la crise sanitaire et environnementale. En prendre conscience est évidemment la première chose pour arriver à la maîtriser dans sa vie de tous les jours.
Et quand on en a pris conscience, quelles sont les meilleures solutions et thérapies pour vaincre ses peurs ?
Dr P.L. : Je suis psychiatre, donc même si je m’occupe énormément de troubles du sommeil, je m’occupe aussi bien entendu de tous les troubles psychologiques et émotionnels, et les peurs en font partie. A l’évidence, les thérapies cognitives et comportementales sont ce qui marche le mieux, mais on peut aussi citer l’hypnose médicale qui est très efficace. Et puis, si c’est une peur qui est consécutive à un traumatisme, la technique reine, c’est l’EMDR. Je la pratique moi-même, les résultats sont incroyables, impressionnants. J’étais très lié au Dr David Servan-Schreiber qui a beaucoup fait pour démocratiser cette thérapie. J’ai d’ailleurs été l’un des premiers psychiatres en France à la pratiquer.
Comment expliquer l’EMDR aux lecteurs avec vos propres mots ?
Dr P.L. : C’est très simple. L’EMDR, c’est l’enfant métissé de l’hypnose, de la psychanalyse, des thérapies cognitives et comportementales et dans une moindre mesure de la design-thérapie. Comment ça fonctionne ? Imaginons que ce soir, vous rentriez chez vous fâchée, énervée, parce que vous vous êtes fait flasher sur la route. Vous vous couchez furax parce que vous allez perdre des points, mais le lendemain matin, vous relativisez et vous vous dites qu’il y a plus grave dans la vie. Vous avez donc digéré ce petit souci ou cette contrariété. Qu’est-ce qui s’est passé ? Pendant votre sommeil paradoxal, vous avez rêvé et ce que vous avez d’abord stocké dans votre cerveau droit (affectif), vous l’avez transféré à votre cerveau gauche, avec une pièce jointe (votre flash sur la route). Imaginons maintenant que ce soir, vous rentriez chez vous et vous voyez qu’il y a les pompiers, la police, une voiture en flamme. Les équipes de secours en sortent une victime calcinée… Vous n’êtes pas bien, vous vous couchez encore plus mal, vous cauchemardez, et le lendemain au réveil vous êtes toujours aussi mal. Et toutes les nuits, vous faites des cauchemars et des flash-back, en boucle. Que s’est-il passé ? Vous avez développé un syndrome post-traumatique. Pourquoi ? Parce que la pièce jointe que vous avez essayé de transférer pendant votre sommeil, de votre cerveau droit à votre cerveau gauche, était bien trop lourde à digérer ! Donc, vous vous êtes mis en boucle et ça a buggé. La solution alors, c’est l’EMDR, car c’est en fait la meilleure façon de fractionner la pièce jointe (ce gros traumatisme qui est trop lourd) en plusieurs petites pièces jointes, et de forcer le passage pour transférer l’information de vos circuits neuronaux affectifs à vos cerveaux neuronaux fonctionnels.
Comment l’EMDR fractionne-t-elle cette pièce jointe ?
Dr P.L. : C’est simple. Par hypnose, on met la personne en condition pour revivre le traumatisme. Et dès que le visage se crispe, toutes les minutes ou toutes les deux minutes, on dit « ouvrez les yeux » et on lui fait faire les mouvements oculaires de l’EMDR pour forcer le passage d’un petit bout de la scène de l’agression ou du traumatisme. Et ainsi de suite. Petit à petit, on arrive à transférer tout le traumatisme. Ça fonctionne étonnamment bien.
Vu que l’EMDR est à la fois extrêmement simple mais basée sur des connaissances neuroscientifiques complexes, comment faire pour ne pas tomber sur un charlatan et trouver le bon praticien ?
Dr P.L. : Il suffit d’aller sur le site d’EMDR France (http://www.emdr-france.org) où vous trouverez les praticiens certifiés avec un diplôme universitaire officiel. Il est en effet essentiel de ne pas aller chez n’importe quel charlatan, car on sait que la grande contre-indication à l’EMDR, ce sont les envies suicidaires, car c’est quand même rude comme travail pour le patient qui a vécu un gros traumatisme. D’ailleurs, on recommande aux patients qui sortent d’une séance de ne surtout pas prendre le volant. Donc face à des personnes très déprimées, on traite d’abord leur dépression ou leur envie suicidaire, avant d’envisager tout traitement par EMDR. Donc, il faut conseiller aux gens d’aller sur le site EMDR France, de choisir un praticien près de chez eux pour pouvoir s’y rendre à pied ou en transports en commun, et s’il ne vous plaît pas lors de votre première séance, changez-en ! C’est capital de se sentir en confiance pour obtenir de bons résultats.
Ça peut fonctionner aussi en téléconsultation ?
Dr P.L. : Pour des gens qui ont vécu des traumatismes insoutenables comme les attentats du Bataclan par exemple, on peut parfois fonctionner par téléconsultation, car certains ne peuvent même plus sortir de chez eux. Plus généralement, j’espère que nous irons de plus en plus vers la téléconsultation, car c’est une des solutions face à la désertification médicale sur notre territoire. Et il faut savoir que les déserts psychiatriques sont encore plus grands que les déserts médicaux en France. Pour voir un psychiatre, il y a souvent plus d’un an d’attente. Donc à la fois pour tous les gens qui n’ont pas de psychiatre près de chez eux ou les patients traumatisés ou porteurs de handicaps qui ne peuvent pas sortir de chez eux, la téléconsultation est vraiment une bonne solution.
Après les différents confinements, on a vu se développer les demandes de consultations, parce que beaucoup de gens vont mal. Quand est-ce vraiment nécessaire de consulter un psy ?
Dr P.L. : Il y a deux paramètres. Le premier, c’est la souffrance, il faut consulter si elle devient invivable. Le second paramètre, c’est si le médecin traitant est débordé ou qu’il n’arrive pas à vous aider, alors il faut consulter un psy.
Face à la surcharge mentale et « l’infobésité », quelles sont les méthodes alternatives les plus sûres et pourquoi ?
Dr P.L. : Face aux images terribles diffusées en boucle sur les chaînes télé d’info continue quand il y a des actes terroristes ou des attentats, il faut apprendre à se protéger, en fermant son poste ou son écran, et en s’autorisant à ne regarder les infos que 15 minutes par jour, pas plus. Car il faut contrer ce que j’appelle le télé-harcèlement par du sevrage progressif.
Que pensez-vous de la méditation et de la cohérence cardiaque notamment ?
Dr P.L. : Beaucoup de bien, mais ce sont des choses différentes. La cohérence cardiaque, c’est vraiment un outil thérapeutique quotidien de relaxation dans la gestion du stress. Ça fonctionne très bien, car ça apprend aux patients à respirer. La méditation, c’est autre chose. Dans les cliniques que j’ai dirigées, j’ai toujours envoyé chacun de mes patients à la fois dans un groupe de méditation, mais aussi dans un groupe de karaté. Quand il a fait les deux, je lui demande : « Et alors ? ». Certains me disent, « j’ai adoré le karaté, ça m’a défoulé mais j’ai détesté la méditation ». D’autres répondent, « oh non, le karaté, c’est trop violent, mais la méditation, j’étais zen, j’étais cool après ». Donc, ça me permet d’orienter mes patients par la suite. A titre personnel, la méditation, ça m’agace prodigieusement, mais à titre professionnel, elle donne d’excellents résultats sur nombre de mes patients. Bref, elle n’est pas adaptée à tout le monde.
«Le patient doit être acteur de sa santé et de son bien-être. C’est pour cela que je suis assez critique vis-à-vis de la médecine occidentale, qui place trop souvent les gens en position de demandeurs passifs.»
Vous concluez votre livre en parlant de résilience, chère à Boris Cyrulnik, en disant qu’on peut se sortir de tout à condition d’y mettre du sien…
Dr P.L. : Oui, le maître de la résilience, c’est Boris Cyrulnik, avec lequel je suis très lié. Nous avons d’ailleurs écrit des livres ensemble. Mais pour répondre à votre question, évidemment, le patient doit être acteur de sa santé et de son bien-être. C’est pour cela que je suis assez critique vis-à-vis de la médecine occidentale, qui place trop souvent les gens en position de demandeurs passifs, dans une sorte de relation parent-enfant, où ils attendent la becquée médicamenteuse. Alors qu’a contrario toutes ces approches alternatives demandent une vraie participation du patient.
Sauf quand on est face à une personne en pleine dépression ?
Dr P.L. : Oui, absolument. D’ailleurs, la pire phrase qu’on puisse dire à une personne déprimée, c’est « allez, prends sur toi, secoue-toi », car on s’adresse à un organe alors handicapé qui est la volonté. D’autre part, il faut savoir que si les antidépresseurs fonctionnent très bien sur des dépressions sévères, ce n’est pas le cas sur les dépressions légères à modérées qui représentent pourtant 90% des consultations. En revanche, si vous prenez des plantes comme du Safran-Rhodiole, ça marche beaucoup mieux que du Prozac. Le Millepertuis montre aussi une efficacité, mais je préfère le mélange Safran-Rhodiole.
Quel message aimeriez-vous que les lecteurs retiennent de votre dernier livre ?
Dr P.L. : Si vous avez une maladie fonctionnelle, ne commencez pas par la médecine allopathique et si vous vous tournez vers une méthode alternative, faites attention aux diplômes du praticien choisi, ou n’y allez que si vous êtes adressé par votre médecin traitant ou votre pharmacien.
Propos recueillis par Valérie Loctin.
SON DERNIER LIVRE
Médecines douces pour temps durs
Les médecines douces sont des techniques apaisantes qui ont désormais leur place dans l’arsenal thérapeutique. Mais attention, pas toutes ! Les réseaux sont débordés par les propositions de charlatans et de chamanes en tout genre. Ce livre fait le tri entre les prises en charge alternatives sérieuses et les plus risquées, celles qui à la limite du sectarisme, doivent être dénoncées. Cette grande enquête donne au lecteur l’éventail le plus large possible de ces remèdes dont les bienfaits sont incontestables, à condition de les aborder avec vigilance. Une sorte de science au naturel qui doit devenir une source d’inspiration pour la médecine classique pour enrichir sa prise en charge et apporter une meilleure réponse aux peurs grandissantes.
Par le Dr Patrick Lemoine avec Josée Blanc Lapierre, Buchet-Chastel (2021), 304 p., 21 €.