Parce que le passage à la retraite est délicat et déterminant, il se prépare. Rencontre avec le Dr Pascal Chaine, neurologue, spécialiste d’une patientèle largement concernée par ce cap crucial de la vie et lui-même fraîchement retraité, pour profiter de ses nombreux et judicieux conseils.
Pourquoi avoir choisi d’écrire ce livre optimiste et bienveillant sur le passage à la retraite ? Parce que c’est un cap qui mérite d’être bien accompagné pour le vivre le plus sereinement possible ?
Dr Pascal Chaine : Oui, parce qu’il se trouve que dans ma pratique de neurologue auprès de nombreux patients arrivés à l’âge de la retraite, j’ai pu constater que ça ne se passait pas toujours aussi bien qu’on pouvait l’imaginer. Surtout chez les hommes d’ailleurs, plus que chez les femmes. Je les ai donc accompagnés dans ce changement de vie, en leur donnant des conseils pour que ça se passe du mieux possible. Et quand je leur ai annoncé que je prenais moi aussi ma retraite, ce sont eux qui m’ont suggéré de transmettre mes conseils et de les partager au plus grand nombre. J’ai donc trouvé intéressant d’écrire ce livre, car c’est un beau sujet qui touche beaucoup de personnes. En plus, c’est une période de la vie, où il y a tout de réuni pour que ça se passe bien, si l’on a la chance d’être en bonne santé et de ne pas avoir de difficultés financières majeures. Je trouve dommage de voir que parfois ça se passe mal, alors que c’est un moment d’opportunités merveilleuses.
Vous le disiez, la retraite est parfois un cap plus difficile à passer pour les hommes que pour les femmes. Comment l’analysez-vous ?
P.C. : C’est vrai, j’ai pu observer dans ma patientèle que les femmes arrivaient beaucoup plus à couper avec leur travail et leur milieu professionnel, qu’elles vivaient moins douloureusement la perte narcissique des relations sociales que les hommes. En fait, ce que j’ai vu, c’est que les femmes à ce moment-là, ont beaucoup plus de facilité à trouver des occupations qui leur plaisent – sportives, artistiques, culturelles, sociales… – souvent en les partageant avec des amies. D’ailleurs, la caricature de l’homme à la retraite est souvent celle de celui qui reste chez lui devant son ordinateur ou sa télévision, à ne pas faire grand-chose, à s’ennuyer et à s’isoler.
« Il y a toujours une perte narcissique au moment de la retraite. »
Vous l’écrivez, « partir à la retraite, c’est changer de vie ». Comme tout changement, la première règle est donc de s’y préparer. Ça passe d’abord par une prise de conscience ?
P.C. : Oui, c’est important de s’y préparer, d’essayer d’envisager ce qu’on va pouvoir faire, ce que ça va apporter et de savoir que du jour au lendemain, il n’y aura plus cinquante mails par jour, ni autant d’appels téléphoniques. Quand on est dans la vie active, on est très associé à son job. Quand on vous demande ce que vous faites dans la vie, vous répondez souvent par votre fonction « je suis cuisinier, entrepreneur ou médecin ». Et quand vient la retraite, on n’est plus un travail ou un poste, on est juste soi. Avec le problème que souvent il y a une image négative derrière les retraités, dont on dit ou dont on pense dans l’inconscient collectif qu’ils ne font rien, qu’ils disent être débordés alors qu’ils ne le sont pas, etc. Il y a donc toujours une perte narcissique, même s’il n’y a pas toujours une perte de pouvoir.
Vous donnez justement quatre clés pour réussir ce changement de vie. La première, c’est de gérer un nouveau rapport au temps. Expliquez-nous.
P.C. : A la retraite, notre rapport au temps change, parce que toute notre vie, de l’école jusqu’à la fin de la vie professionnelle, ce rapport au temps nous était imposé. Et là, quand vient la retraite, il n’y a quasiment plus aucune obligation. On a du temps libre. Alors au début, on trouve cela merveilleux de se lever tard, de pouvoir un peu glandouiller, d’aller au cinéma l’après-midi… mais très vite, on s’aperçoit que ça peut rapidement devenir creux. Il y a des gens qui compensent ce vide, ce manque, en étant hyperactifs, ce qui n’est d’ailleurs pas toujours positif, et d’autres au contraire qui ne font rien. Vraiment, j’insiste sur le fait qu’il faut continuer non seulement à se faire plaisir, mais aussi et surtout à produire. Il faut comprendre que ce nouveau temps libre est une source d’opportunités pour faire ce qu’on n’a jamais eu le temps de faire auparavant, pour être plus disponible pour les autres et aussi plus réceptif. Je me suis aperçu que quand on quitte le stress du travail, on est beaucoup plus réceptif à une jolie vue, un beau paysage, on a le temps de la contemplation, du recul et de l’échange aussi avec les autres, car on n’a plus besoin de courir après le temps toute la journée. On a aussi plus de temps pour mieux comprendre, aller plus au fond des choses.
On sait que le stress est le grand mal des temps modernes, à tout âge. Pourquoi existe-t-il aussi à la retraite, d’où l’intérêt d’apprendre à le maîtriser ?
P.C. : Le stress du retraité peut déjà être lié aux conditions dans lesquelles la personne est partie à la retraite. Quand la retraite n’a pas été désirée, quand on se retrouve à devoir boucler des fins de mois plus difficiles ou quand la vie à deux change et qu’on se retrouve d’un coup en couple à devoir partager ce temps libre, alors qu’auparavant chacun vaquait à ses occupations de son côté. Il y a aussi des stress qui n’ont rien à voir avec la retraite : tomber malade, voir son conjoint tomber malade, s’occuper de ses propres parents dépendants… Il y a également le stress de quitter un travail qui était pour certains tout pour eux, car ils ne savent plus quoi faire et ont l’impression d’avoir moins d’amis. Pour d’autres, la retraite peut être au contraire une libération, notamment pour ceux qui avaient un travail très pénible ou qui n’avaient jamais de temps pour eux.
Vous parlez d’apprendre à réorganiser sa vie au quotidien. C’est quoi la clé ?
P.C. : Il faut surtout ne pas se couper d’une vie sociale, active et productive. Sans donner aucune leçon de morale, on sait que ce n’est pas bon de rester au lit jusqu’à deux heures de l’après-midi, car on se désocialise complètement et on s’isole. Il faut avoir l’impression de faire quelque chose d’utile pour soi et pour les autres, pour sa famille, dans le bénévolat, dans des activités enrichissantes comme le chant, la musique, le sport, les loisirs créatifs, les clubs services, etc. Sauf si l’on est un grand philosophe, un poète ou un ermite, l’inactivité est mauvaise voire dangereuse, pour le moral comme pour la santé. La règle de base, c’est de trouver des activités qui nous font plaisir mais aussi qui sont utiles pour les autres. D’ailleurs, c’est fou de voir que les retraités ont une si mauvaise image alors que ce qu’ils font pour la société est immense ! Il y a beaucoup de maires et d’élus qui sont retraités. Dans le bénévolat, c’est énorme. Les retraités s’occupent plus que toutes les assistances maternelles réunies de leurs petits-enfants, sans parler de l’aide aux parents âgés malades ou dépendants qui est surtout apportée par eux ! Bref, quand on est à la retraite, on a beaucoup à faire et on a un rôle sociétal majeur, vraiment essentiel ! C’est cela que j’appelle réorganiser sa vie et être disponible pour soi et pour les autres.
« Ce nouveau temps libre est une source d’opportunités pour faire ce qu’on n’a jamais eu le temps de faire auparavant, pour être plus disponible pour les autres et aussi plus réceptif. »
Etre disponible pour soi, c’est aussi prendre soin de sa santé, avec trois piliers : faire de l’exercice, manger sain et bien dormir. C’est aussi la prévention et le dépistage ?
P.C. : Oui, parce qu’au niveau du dépistage, on s’aperçoit qu’on est encore très en retard en France. On sait qu’il y aurait moins de cas de cancer colorectal ou de cancer du sein, si la prévention et le dépistage étaient vraiment bien réalisés et suivis. Un cancer du sein sur trois pourrait être évité, ce n’est pas rien ! Dans ce livre que je veux très pratique, j’explique aussi la prévention des mélanomes et cancers de la peau dont la fréquence augmente beaucoup actuellement, et la prévention cardiovasculaire qui est un véritable enjeu de santé publique, notamment chez les femmes à la ménopause. Aujourd’hui, la mortalité féminine par accident cardiovasculaire est aussi importante voire plus que chez les hommes. D’ailleurs, toutes les études montrent un retard de prise en charge des AVC plus important chez les femmes que chez les hommes, parce que les hommes ont tendance à se plaindre tout de suite et leurs femmes à appeler immédiatement le SAMU. Alors que dans le cas inverse, les femmes ont tendance à s’écouter moins et les hommes à moins s’inquiéter pour elles. Résultat, il y a un différentiel de temps de prise en charge d’une heure environ. Si les gens savaient reconnaître très vite un accident cardiovasculaire transitoire, annonciateur d’un accident cardiovasculaire définitif, et qu’ils appelaient immédiatement le 15, il y aurait moins de mortalité et moins de séquelles. Les personnes qui arrivent à se sortir d’un arrêt cardiaque, sont généralement celles qui ont eu la chance de bénéficier d’un témoin à proximité qui a su pratiquer très viteles gestes de premiers secours (massage cardiaque, utilisation d’un défibrillateur, etc.).
En tant que neurologue, vous avez été confronté tout au long de votre carrière à de nombreux cas de dégénérescence cérébrale. Quels sont vos conseils pour prévenir et retarder au maximum les maladies d’Alzheimer, Parkinson, etc. ?
P.C. : Beaucoup de gens se plaignent après 60 ans de perte de mémoire, mais il est important de comprendre que c’est presque toujours aggravé par l’anxiété, les troubles de l’attention, les interférences, etc. Il faut donc absolument s’obliger à se concentrer. Si on écoute les nouvelles, tout en faisant la cuisine et en téléphonant ou en suivant les réseaux sociaux, ça ne marche pas. Deuxième point, il faut arriver aussi à se stimuler. Car c’est merveilleux, les recherches neuroscientifiques ont vraiment montré que la plasticité cérébrale existe vraiment après 60 ans, d’où l’intérêt de continuer à la stimuler pour faire face à la perte neuronale liée au vieillissement. Il y a eu une étude très intéressante pour savoir si c’étaient les troubles cognitifs qui faisaient que la personne s’isolait ou l’inverse. En fait, c’est bien l’isolement qui entraîne la croissance des troubles cognitifs. C’est pour cela, qu’à la retraite, d’autant plus si l’on est confronté au deuil de son conjoint, il ne faut pas hésiter à aller à la mairie pour voir toutes les activités associatives qui sont proposées, car le lien social est fondamental pour éviter la solitude, l’isolement et par conséquence désastreuse, la montée des troubles cognitifs.
Surtout que tout peut aider le cerveau à bien fonctionner sur la durée : les liens sociaux mais aussi un bon sommeil, l’activité physique et l’apprentissage ?
P.C. : En effet, il ne faut jamais arrêter de lire, d’apprendre des choses nouvelles, de faire de nouveaux apprentissage, de pratiquer de la marche ou un sport, mais aussi de se faire plaisir, car tous les neuroscientifiques vous le diront, la meilleure prévention de la maladie d’Alzheimer, c’est de continuer à s’émerveiller, à découvrir des choses, bref, de faire fonctionner ses neurones. Ce n’est pas forcément bon de ne faire qu’une chose, comme jouer sur son smartphone toute la journée, il faut qu’il y ait à la fois du lien social, de la diversité, de la production et du plaisir réunis. Et puis, on le sait, le stress a des effets très néfastes sur la mémoire. J’insiste également sur le fait que la correction d’une baisse de l’audition joue beaucoup sur la prévention de l’Alzheimer. Il n’y a qu’une personne sur les cinq qui devraient être appareillées qui l’est aujourd’hui en France. Enfin, ce qui est très mauvais pour les capacités cérébrales, c’est ce qu’on appelle la mémoire externalisée. La technologie moderne ne nous pousse pas à développer notre attention, notre concentration et notre mémoire, puisque les smartphones, les GPS et tous les appareils connectés retiennent tous les numéros, les noms, les adresses et les informations à notre place. Il faut donc s’astreindre quotidiennement à entretenir ses capacités d’attention, de concentration, de mémorisation et d’émerveillement !
« La meilleure prévention de la maladie d’Alzheimer, c’est de continuer à s’émerveiller. »
En termes d’esthétique, le bon équilibre écrivez-vous, c’est « ni jeunisme, ni laisser-aller » ?
P.C. : C’est très important de continuer à s’entretenir, tant d’un point de vue cérébral que physique, sinon ça nous renvoie à une mauvaise image du « vieux ». A la retraite, on a enfin le temps de bien s’occuper de soi, donc ça passe aussi par le corps et l’image qu’on renvoie aux autres comme à soi-même.
Vous expliquez que la sexualité, qui est bonne pour se maintenir en pleine santé, doit être envisagée autrement, c’est-à-dire ?
P.C. : En prenant de l’âge, les corps changent. J’explique que la libido peut diminuer pour les deux sexes. Ce ne sont pas les hormones mais la fatigue, le stress, et le fait aussi qu’on ne l’entretient plus qui sont en cause. Les érections ne sont plus les mêmes que celles qu’on avait à 30 ans, les femmes ont parfois moins souvent envie de faire l’amour, notamment à l’étape de la ménopause. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la sexualité doit être envisagée autrement, car elle ne se résume pas à la performance et à la pénétration, elle peut être dans les câlins, les caresses, la masturbation, et donc se révéler tout aussi merveilleuse, car plus sensuelle et moins dans la performance. Ce qu’il y a de triste aussi, c’est que les gens consultent très peu pour cela, alors qu’il y a pour les hommes comme pour les femmes des médicaments et des crèmes qui marchent très bien. Continuer à avoir une sexualité épanouie après 60 ans et lorsqu’on se retrouve à la retraite, est excellent à tous points de vue, sur le plan psychologique et émotionnel, comme sur le plan physique et sanitaire, puisqu’on sait que c’est bon pour le moral, pour le cœur comme pour la santé en général.
La retraite peut être selon vous la période de vie la plus réussie. Ça passe donc par la tête, par un changement d’état d’esprit sur la vieillesse ?
P.C. : Oui, parce qu’en fait les deux ne doivent pas être associés. Retraite ne veut pas dire vieillesse ! Beaucoup de gens prennent leur retraite vers 60/65 ans, ce qui est encore jeune, puisque l’on vit de plus en plus longtemps en bonne santé. La retraite peut être un moment de vraie liberté. C’est pour cela que c’est un changement de vie qui peut vraiment être très chouette. Mais en effet, ça passe par la tête d’abord, par le mental et l’état d’esprit. Il faut vraiment se convaincre que ce n’est pas parce qu’on est à la retraite qu’on est devenu vieux ! Il faut à tout prix s’enlever cela de la tête !
Quel message essentiel aimeriez-vous que les lecteurs retiennent de votre livre ?
P.C. : Le message, c’est qu’il faut se préparer à ce changement de vie, car on ne sera plus associé à un travail ou à un métier, mais on aura beaucoup plus de temps pour s’occuper de soi et des autres, de sa santé et de sa forme. Grâce à l’exercice physique et toutes les activités cognitives, on peut rester très toniques tant sur le plan mental que physique. Sans oublier que c’est une excellente prévention contre les maladies cardiovasculaires, mais aussi le diabète, le surpoids et l’arthrose. Mais pour cela, il faut s’en occuper, ne jamais se laisser aller et continuer à cultiver tous les liens familiaux, intergénérationnels et sociaux dont on a tant besoin pour être pleinement épanoui et heureux !
Propos recueillis par Valérie Loctin.
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