Le sucre est partout dans notre alimentation, et nous y sommes souvent « accros » à tout âge ! Pour nous aider à nous libérer de cette dépendance et de ce trop-plein qui nuit à notre santé, rencontre avec le Dr Michel Lallement pour des conseils détox de bon sens, sans culpabilisation ni frustration.
L’impact des sucres dans nos aliments sur notre santé est pointé du doigt seulement depuis quelques dizaines d’années. Pourquoi cette prise de conscience tardive ?
Dr Michel Lallement : Probablement car un excès de consommation en sucres se traduit concrètement par un excès de graisses : prise de poids, excès de triglycérides voire de cholestérol, etc. L’ennemi semblait donc tout désigné, mais nous avons pendant trop longtemps occulté le fait que cette graisse en excès provenait des sucres de nos aliments (et parfois aussi de l’alcool) mais pas des aliments gras. Un bon exemple de ce phénomène est celui du foie gras : un canard gras est nourri par des sucres (en particulier du maïs), pas par des graisses ; et depuis quelques années, une nouvelle pathologie explose : la stéatose hépatique non alcoolique, autrement dit le foie gras humain !
Pour votre part, c’est le livre de David Servan-Schreiber, « Anticancer », qui a servi de révélateur. Expliquez-nous.
Dr M.L. : David Servan-Schreiber a été le premier médecin à argumenter très scientifiquement le fait que les cancers étaient très largement favorisés par nos modes de vie : l’alimentation, la sédentarité, le stress, etc. Depuis la sortie de son livre Anticancer, en 2007, ces facteurs ont été confirmés, au point que le gouvernement commence à dire que « Nous ne sommes pas impuissants face au cancer ; au moins 40 % sont liés à des comportements que nous pouvons modifier. Agir au quotidien, c’est possible. » Cette prise de conscience a été largement favorisée par David Servan-Schreiber, à qui je rends un hommage appuyé. Et, dans son livre, il ne limite pas le rôle d’une bonne hygiène de vie aux seuls cancers ; il montre que toutes les maladies chroniques et dégénératives en bénéficient également.
« Le mécanisme de stockage du sucre en graisse sous l’effet de l’insuline explique également l’épidémie actuelle d’obésité et de diabètes dans le monde. »
De quelles maladies chroniques l’excès de sucres rapides fait-il le lit, et pourquoi sont-ils si dangereux ?
Dr M.L. : Nous parlions des cancers : nous savons que les cellules cancéreuses consomment jusqu’à 18 fois plus de glucose que les cellules saines ; ce fait est d’ailleurs mis à profit pour les détecter grâce à un examen appelé TEP-scan, qui enregistre la fixation de glucose radioactif injecté. Mais le sucre étant également indispensable aux cellules saines, on ne peut affamer un cancer, en jeûnant par exemple. Par contre, on comprend depuis peu que les sucres assimilés rapidement (sucres rapides) nourrissent beaucoup plus les cellules cancéreuses que les sucres lents. Un sucre rapide passe par définition rapidement dans le sang, ce qui induit un pic de glucose ; l’organisme n’ayant pas besoin de tout ce sucre, il va le stocker (sous forme de graisse), grâce à une hormone appelée insuline. Le problème est que l’insuline se comporte également comme un facteur de croissance (une sorte d’engrais) sur toutes les cellules, y compris les cellules cancéreuses. C’est par ce mécanisme que les sucres rapides favorisent tant les cancers. Or nous sommes tous porteurs de cellules cancéreuses ; le fait que la consommation de sucres rapides a considérablement augmenté en une ou deux générations explique en grande partie le doublement des cas de cancers durant cette même période. Le mécanisme de stockage du sucre en graisse sous l’effet de l’insuline explique également l’épidémie actuelle d’obésité et de diabètes dans le monde.
Le sucre appelle le sucre. Comment expliquer une telle addiction dans nos sociétés modernes ?
Dr M.L. : L’addiction au sucre s’explique très facilement : elle est due à la prolifération excessive de champignons microscopiques dans nos intestins appelés candida albicans. Ceux-ci se nourrissent exclusivement de sucres, et ont la capacité de fabriquer une substance qui passe dans notre sang, atteint notre cerveau et induit l’envie de sucre. C’est par ce mécanisme que le sucre attire le sucre, à l’instar d’une drogue parfois dure : l’addiction est parfois majeure ! L’important est de ne pas culpabiliser, et de se dire que ce phénomène est réversible : plus on réduit sa consommation de sucres, plus le nombre de candida diminue dans nos intestins, et avec eux l’envie de sucre. Cette désaccoutumance est assez rapide, à moins que l’addiction soit ancienne : il faut alors se faire aider par des produits ou des traitements anti candida.
Les sucres sont partout, de façon plus ou moins sournoise, dans l’alimentation industrielle. Faut-il bannir tous les aliments transformés pour autant et tout cuisiner « maison » ?
Dr M.L. : Il est vrai que les aliments transformés contiennent beaucoup de sucres, pour des raisons variées : pour améliorer la conservation, mais surtout parce que les industriels ont été les premiers à prendre conscience du côté addictif du sucre, ce qui leur assure une clientèle toujours plus importante ; ainsi s’explique la fortune de Coca Cola, suivie par beaucoup d’autres. Surtout, ce sont essentiellement des sucres rapides, les plus addictifs et les plus toxiques pour notre santé. La triste palme revient au sirop de glucose, qui n’existe pas à l’état naturel, et qui est le sucre le plus « rapide » qui soit : son index glycémique est de 100, le maximum, car il ne nécessite aucune digestion pour être absorbé. Donc oui, bannissons le plus possible les aliments transformés, mais n’oublions pas de bien choisir nos ingrédients lorsque nous cuisinons « maison » : un gâteau réalisé avec de la farine de blé raffinée (farine blanche) et du sucre de cuisine aura un index glycémique aussi élevé que le même gâteau acheté dans une pâtisserie. Remplaçons la farine de blé classique par un mélange de farines de sarrasin, de seigle, de fonio, et le sucre de cuisine par du sirop d’agave ou du sucre de coco, et l’index aura diminué de moitié sans perdre en saveur, bien au contraire.
« Oui, bannissons le plus possible les aliments transformés, mais n’oublions pas de bien choisir nos ingrédients lorsque nous cuisinons « maison ». »
Le grand public a du mal à comprendre le lien entre les sucres et les graisses. Expliquez-nous.
Dr M.L. : Nous avons déjà abordé en partie ce point : les sucres que notre organisme ne peut pas brûler du fait qu’ils arrivent en trop grande quantité (sucres rapides) sont stockés sous forme de graisse, essentiellement au niveau abdominal : environ 45 g de graisse pour 100 g de sucre. Ce que nous savons moins souvent, c’est qu’il existe des bonnes et des mauvaises graisses, de même qu’il existe de bons et des mauvais sucres. Et nous avons tendance à avoir peur des graisses en générale, sans faire cette distinction. Or les bonnes graisses (dites insaturées, essentiellement les oméga-3) sont indispensables pour être en bonne santé, mais nous en manquons le plus souvent car il s’agit de graisses fragiles, qui se conservent mal ; nous devons donc aller les chercher dans certaines aliments comme les oléagineux : noix, amandes, noisettes… et les petits poissons gras : sardines, maquereaux… Non seulement ces bonnes graisses peuvent être consommées à volonté sans risque, mais elles présentent en outre deux avantages irremplaçables : d’une part elles ralentissent l’assimilation des sucres, d’autre part elles ont un effet « coupe faim » qui évite les fringales. Retenons donc que, paradoxalement, si nous voulons maigrir, nous devons consommer plus de bonnes graisses !
Tous les sucres et toutes les graisses ne sont pas mauvais pour la santé. Comment s’y retrouver et choisir les bons ?
Dr M.L. : Pour les sucres, nous avons vu que c’est leur rapidité d’assimilation qui conditionne leur caractère sain ou nocif. Pour les graisses, c’est un peu plus compliqué, car cela dépend de nombreux facteurs, dont leur formule chimique (saturées, mono ou poly-insaturées…) et le fait de les consommer froides ou chauffées. Retenons pour être efficaces que nous manquons le plus souvent de graisses oméga-3, et que, comme pour les bons sucres, les bonnes graisses sont présentes dans les aliments les moins transformés. Chaque fois que nous nous posons la question de la qualité nutritionnelle d’un aliment, demandons-nous si celui-ci existe à l’état naturel : ce n’est pas le cas des frites, de la farine blanche ou du sucre de cuisine…
La principale notion à comprendre est celle de l’Index Glycémique, d’où l’intérêt de privilégier des aliments à IG bas. Quels sont les meilleurs dans un rééquilibrage alimentaire idéal ?
Dr M.L. : Les grandes familles d’aliments à privilégier sont les fruits et les légumes, transformés le moins possible : par exemple, un fruit est préférable au jus de ce même fruit. Les céréales complètes, en réduisant le part du blé au profit d’autres comme le seigle, l’orge, l’avoine, etc. Et ne perdons pas de vue que plus un aliment est cuit (légume, céréale…) plus son index glycémique augmente. Retenons également que les aliments végétaux sont nettement meilleurs pour la santé que les aliments d’origine animale : nous avons été beaucoup trop carnivores et avons consommé beaucoup trop de produits laitiers : préférons le lait des petits mammifères, et conservons surtout les petits poissons déjà cités.
Quel est le meilleur moment pour démarrer une « détox au sucre » et comment s’y prendre ? Par quoi vaut-il mieux remplacer le sucre blanc ?
Dr M.L. : Il n’y a pas selon moi de meilleur moment : l’important est de se sentir prêt, c’est-à-dire d’avoir pris conscience des risques du sucre et des bienfaits de s’en libérer. Dès que la prise de conscience est là, il devient facile de réduire, chacun à son rythme, la consommation des sucres rapides et d’augmenter la part des sucres lents. Comme pour la cigarette, certains seront pour un arrêt radical et videront leurs placards, d’autres auront besoin de plus de temps, mais si la motivation est présente, le résultat sera là. Le sucre blanc n’est que la partie visible de tous les mauvais sucres qui nous entourent ; on peut le remplacer par du sirop d’agave ou du sucre de coco, mais la suppression du morceau de sucre de notre café ne doit pas nous faire oublier le sucre présent dans le pain ou les 18 morceaux de sucre cachés dans la barquette de frites avalée pendant le repas !
« On sait depuis peu que la sédentarité tue plus aujourd’hui que l’alcool et le tabac réunis !
Le stress a d’innombrables conséquences sur notre santé, c’est en particulier le principal facteur de baisse de l’immunité. » Vous conseillez un vrai programme d’hygiène de vie qui ne passe pas que par l’alimentation. Bouger, lutter contre le stress, bien dormir, sont également fondamentaux.
Dr M.L. : Je renouvelle ici mon hommage à David Servan-Schreiber : dans son programme Anticancer, il insistait déjà sur l’importance d’un changement global de l’hygiène de vie. L’activité physique permet de brûler davantage de glucose, qui ne sera donc pas stocké et ne fera pas produire de l’insuline. On sait depuis peu que la sédentarité tue plus aujourd’hui que l’alcool et le tabac réunis ! Le stress a d’innombrables conséquences sur notre santé, c’est en particulier le principal facteur de baisse de l’immunité ; autrement dit, plus nous avons peur d’une maladie (cancer, virus…) plus nous risquons de la développer !
Que pensez-vous des modes d’alimentation crétois et japonais (Okinawa) ? Sont-ils à privilégier au long cours et pourquoi ?
Dr M.L. : Ces modes d’alimentation (et également de vie, ne l’oublions pas) ont fait leur preuve, mais j’essaye d’éviter de proposer des modèles, car nous avons tous nos préférences gustatives et culturelles ; je préfère donner à chacun les clés qui lui permettent d’identifier lui-même les bons et les mauvais aliments, afin qu’il se crée son propre régime sur mesure.
Ancien chirurgien des Centres de lutte contre le cancer et Chef de Clinique-Assistant des Hôpitaux de Toulouse, le Dr Michel Lallement se consacre depuis 2010 à la prise en charge globale du terrain des maladies chroniques et dégénératives, ainsi qu’à l’accompagnement des thérapeutiques anti-cancéreuses. Il est l’auteur de plusieurs best-sellers consacrés à l’alimentation santé.
L’éducation nutritionnelle doit commencer dès le plus jeune âge. Que conseiller aux jeunes parents pour ne pas commettre d’erreur ?
Dr M.L. : C’est en effet pour moi l’enjeu le plus important : de même qu’il est très difficile d’arrêter de fumer (alors qu’un non-fumeur ne ressentira aucune frustration à ne pas fumer), il est très difficile de perdre les mauvaises habitudes alimentaires. Aimer ses enfants ne consiste pas à leur faire plaisir à tout prix en cédant à leurs caprices, mais à leur donner les bases d’une vie heureuse. Récompenser ses enfants avec des sucreries revient à les rendre addicts à un poison, certes lent mais redoutable. J’ai animé plusieurs sessions sur ce thème dans des classes de CM1 ou CM2, et je peux vous assurer que les enfants sont très réceptifs à ces notions de bons et mauvais aliments !
Le plaisir de manger ne doit pas être oublié pour autant. Quelle est votre position face aux écarts ?
Dr M.L. : Tout écart est acceptable, tant qu’il reste rare (sinon ce n’est plus un écart !). Les notions abordées ci-dessus s’entendent sur le long terme : des mois, voire des années. Et je mets en garde les personnes qui pratiquent l’orthorexie, c’est-à-dire le contrôle à l’excès de leurs prises alimentaires : c’est une source de stress parfois majeur, or nous avons évoqué les conséquences du stress, qui sont bien pires que de petits excès ! Enfin, il faut lutter contre l’idée fausse selon laquelle une alimentation saine serait insipide : c’est précisément l’inverse ! La démarche santé nous permet de redécouvrir de nombreuses saveurs oubliées.
Propos recueillis par Valérie Loctin.