En retraçant le parcours de couples qu’il a entendus dans son cabinet, Jean-Paul Mialet, psychiatre, spécialiste en psychologie expérimentale et cognitive, nous invite dans son dernier livre et dans cet entretien passionnant à nous interroger sur ce qui pousse à vivre à deux et à réfléchir à la profondeur du lien lorsqu’il se déploie dans la durée.
Dans votre dernier livre, vous analysez le sentiment amoureux dans le contexte de l’attention que lui portent différemment les hommes et les femmes. Est-ce pour aider les lecteurs à mieux construire et vivre leur couple sur la durée ?
Dr Jean-Paul Mialet : Au fur et à mesure que j’avance dans la psychiatrie et la psychologie, il ne se passe pas une consultation, sans qu’on me parle de cet élément fondamental qu’est l’Amour. Les gens en parlent de plus en plus mais ils ont aussi de plus en plus de difficultés à vivre ensemble. C’est une préoccupation centrale des hommes et des femmes d’aujourd’hui qui sont par ailleurs de moins en moins capables de maintenir leur union. Ce livre est donc là pour leur permettre de réfléchir et de s’interroger sur les avantages de la vie à deux, les aider à apprécier l’importance du lien et à maintenir cet accord dans le couple le plus longtemps possible.
Vous l’avez dit, les hommes et les femmes semblent avoir de plus en plus de mal à se comprendre et à vivre ensemble, avec des conséquences sociétales, économiques, psychologiques, éducatives… Expliquez-nous.
Dr J-P. M. : On se rend compte en effet que la durée de vie moyenne d’un couple à notre époque n’est que de 3 à 6 ans, rarement plus. Et cela a des conséquences bien réelles sur la société. Premièrement, un couple qui se sépare est un couple qui s’appauvrit. Les enfants restent souvent avec la mère qui se retrouve avec son seul salaire si elle a un emploi. On voit donc de plus en plus de familles monoparentales qui ont de réelles difficultés économiques. Deuxièmement, il y a l’aspect affectif. On dit souvent que des enfants se sentent mieux avec des parents séparés qui ne se disputent plus devant eux. Ça n’est vrai que jusqu’à un certain point. Car les conséquences de vivre sans père au quotidien sont loin d’être négligeables sur l’équilibre de l’enfant. Si sa mère se remet avec un autre homme, l’enfant se retrouve avec un père de substitution, qui n’a ni la même fonction, ni la légitimité de sa fonction. Le père quant à lui, s’il refait aussi sa vie, va se retrouver avec une nouvelle femme et hériter de sa progéniture. Les enfants se retrouvent ainsi coupés de leur vrai père, tant sur un plan pratique que symbolique. C’est une réalité, 28% des pères divorcés ne voient plus leurs enfants. Petit à petit, c’est un matriarcat qui se met en place avec une notion paternelle qui s’effondre petit à petit. Les conséquences sur la société sont importantes.
« D’un côté, la femme est dans la prolongation d’un accord intime et, de l’autre, l’homme est dans une demande de rupture. »
Le rôle du père est pourtant considérable ?
Dr J-P. M. : Oui, car le vrai père est le seul à pouvoir exercer sa fonction séparatrice d’avec la mère, qui pour sa part, entretient des liens organiques avec son enfant. Ce sont les enfants qui font les mères et non les mères qui font les enfants. Et pour que l’enfant garçon puisse s’épanouir dans sa vie adulte, il faut que la séparation d’avec sa mère se fasse convenablement. Ce qui est le rôle du père.
Dans un couple, si l’on comprend facilement la différence des besoins sexuels entre hommes et femmes, comment expliquer la différence des besoins de liens ? Vous dites que la femme est concentrée sur le lien alors que l’homme est en rupture avec le lien. C’est-à-dire ?
Dr J-P. M. : Fondamentalement, l’homme a été un petit garçon élevé par sa mère. Il a fallu qu’il s’arrache à sa mère. Il doit pour se constituer en tant que garçon descendre des genoux de sa mère. La fille, quant à elle, est le prolongement de sa mère, elle est donc naturellement avertie de cette propension naturelle au lien affectif. Par ailleurs, dans sa vie sexuelle d’ordre avant tout relationnel, la femme offre l’ensemble de son corps. Un homme n’offre qu’une partie de son anatomie. Vous l’aurez compris, dès le départ, l’homme s’engage partiellement, alors que la femme s’ouvre à accueillir un autre. D’un côté, la femme est dans la prolongation d’un accord intime et, de l’autre, l’homme est dans une demande de rupture.
Vous parlez cependant d’une contradiction interne chez l’homme ?
Dr J-P. M. : Oui car si le petit garçon a besoin de fuir sa mère, il n’a cependant qu’une envie, se retrouver dans ses bras, il a des besoins affectifs. L’enfant naît avec un besoin instinctif d’être attaché, de se lier à quelqu’un d’autre. C’est vrai pour les deux sexes et ce besoin restera-là toute la vie. C’est l’érotisme qui vient compliquer les choses. Car l’homme aura souvent besoin de se combler par des décharges nouvelles qu’il aura envie de vivre hors du lien matrimonial, car ce lien lui rappelle trop l’attachement. La femme qui accueille l’homme quant à elle n’a pas besoin en général de chercher ailleurs, parce qu’elle éprouve un grand accomplissement et elle donne un grand sens à offrir le temple qu’est son corps. Contrairement à ce qui se dit parfois, l’homme n’a pas un érotisme plus important que celui de la femme. Il a juste une sexualité plus compulsive, plus centrée sur le passage à l’acte.
Alors, comment construire une relation de couple équilibrée et durable dans ces conditions ? Est-ce notamment en comprenant que la fusion n’existe pas et que l’Autre n’est pas le miroir de soi ?
Dr J-P. M. : Oui, il faut que des journaux comme le vôtre fassent aussi passer le message que l’amour n’est pas la fusion, ce n’est pas la rencontre de deux êtres en miroir et en totale symbiose. Ils sont au contraire très différents. Il faut que les gens prennent conscience que le couple est aussi une grande force qui permet de surmonter ces différences. La priorité est donc en permanence d’aller l’un vers l’autre. Dans un couple réussi, l’homme – même s’il reste attiré par nature par toutes les femmes – donne la priorité à la femme qu’il a choisie pour être la sienne. Il ne doit pas renoncer à ses désirs mais renoncer à la compulsion. Il doit se canaliser sur la personne avec laquelle il vit. De l’autre côté, il faut que la femme se rende compte de la chance qu’elle a, qu’elle fasse aussi un pas vers lui pour vivre dans la complicité de ses désirs, afin d’être plus proche de la mécanique de l’homme.
Que penser alors de l’infidélité ?
Dr J-P. M. : Je pense bien entendu que l’infidélité peut ruiner le couple par la perte de confiance qu’elle induit. En revanche, il existe aussi des infidélités qui permettent à des couples de survivre, des infidélités qui réveillent les couples et leur permettent de refaire des pas l’un vers l’autre. Souvent, l’infidélité est le résultat d’une monotonie, d’un endormissement. Elle provient d’un besoin de casser la routine. Je vois souvent dans mon cabinet des cas d’infidélité créer un électrochoc dans le couple. Cela permet alors de se parler, de libérer la parole, parfois de comprendre l’autre et de repartir ensemble sur de nouvelles bases.
« Seul le dialogue permet de surmonter une crise dans le couple, car il permet de prendre conscience de ce qui est non négociable pour l’autre et donc de s’adapter. »
Que pensez-vous des couples, de plus en plus nombreux, qui décident d’être ensemble mais de vivre « chacun chez soi » ?
Dr J-P. M. : Vivre chacun de son côté, pourquoi pas ? Cela provient d’un besoin pour chacun des partenaires du couple de se retrouver un peu plus face à lui-même. Mais vient aussi un moment où l’on peut en souffrir. Peut-être que la solution est plutôt dans le vivre ensemble, en ayant chacun des espaces et des activités bien à soi.
Le couple est aussi une façon de s’accomplir, de donner un sens à sa vie, en créant une famille notamment ?
Dr J-P. M. : Oui et c’est tout aussi fondamental que considérable ! Le couple est une association qui ne peut pas être uniquement associée au désir. Bien plus que le désir, le couple est un partage profond, la volonté d’enrichir son patrimoine de vie d’expériences et de souvenirs communs. En se sortant de la fusion, en cessant d’idéaliser l’autre, on apprend à aimer aussi ses petits défauts. Et puis, il faut se réjouir de la famille qu’on a su créer. Si le couple a persévéré, tout prend sens, il voit sa filiation s’étendre de ses enfants à ses petits-enfants, il éprouve de la satisfaction à voir tout le chemin accompli dans la transmission.
Si vous deviez donner deux ou trois conseils essentiels à des couples pour être heureux et rester ensemble, quels seraient-ils ?
Dr J-P. M. : Premièrement, de prêter attention à l’autre. Etre heureux d’être à ses côtés malgré ses petits défauts, avoir de l’indulgence et de la délicatesse, aller au-devant de ses désirs. Deuxièmement, ne pas s’oublier dans le couple. Etre attaché à soi comme on est attaché à l’autre. Troisièmement, se parler, communiquer en permanence. Si un couple n’est pas capable de dialoguer, il sera condamné. Le dialogue est indispensable à un équilibre harmonieux dans le couple. Il permet de faire des compromis, des négociations parfois difficiles. Car dans un couple, il peut parfois être nécessaire de s’opposer. Ça fait aussi avancer les choses. Et seul le dialogue permet de surmonter une crise, car il permet de prendre conscience de ce qui est non négociable pour l’autre et donc de s’adapter.
Le plus important est donc l’attention que l’on porte en permanence à l’autre ?
Dr J-P. M. : Oui, mais une attention constructive ! A l’opposé de l’attention spontanée qui distrait, l’attention constructive réclame de l’effort : c’est un des critères principaux de cette activité. Le mot d’effort est devenu tabou. Pourtant, peut-on parvenir à accomplir quoi que ce soit sans effort ? Et peut-on même s’aimer sans effort, si l’on voit dans l’amour un parcours et non une passion ? Amusant d’ailleurs de voir que l’effort dont on ne veut pas entendre parler dans la relation à l’autre, on l’admet très bien, on s’en flatte même, dans l’accomplissement narcissique d’une performance (musculation, marathon, etc.).
Un message à faire passer à nos lecteurs pour conclure ?
Dr J-P. M. : Que chacun prenne conscience du caractère précieux du lien sur la durée. La priorité du couple doit être l’accomplissement du chemin et non l’accomplissement du désir.
Propos recueillis par Valérie Loctin.