Véritable « peste psychologique des temps modernes », l’anxiété concerne tout le monde, car nous avons tous été un jour touchés par cette souffrance émotionnelle universelle. Rencontre pour comprendre comment la combattre avec le psychiatre Jean-Luc Ducher.
Pourquoi ce livre Docteur ? Est-ce parce que l’anxiété est « la maladie du siècle » ?
Dr Jean-Luc Ducher : Je ne sais pas si c’est la maladie du siècle, car l’anxiété a toujours existé. C’est une souffrance émotionnelle universelle qui peut toucher tout le monde, à tout âge et à différents moments de la vie. Il existe différentes formes et niveaux d’anxiété qui peuvent être causés par des situations de la vie courante, mais aussi des évènements imprévus, des accidents, des traumatismes comme des projections de ce qui pourrait nous arriver. L’important c’est de trouver les techniques pour surmonter l’anxiété quand elle survient, afin que cela ne se transforme pas en TAG, le trouble d’anxiété généralisée.
Jean-Luc Ducher est médecin psychiatre à Clermont-Ferrand. Clinicien, psychothérapeute, enseignant, chercheur dans le champ de la dépression et de l’anxiété, il est également auteur de « La Dépression en 60 questions » aux éditions Odile Jacob.
Quelle est la différence entre le stress et l’anxiété ?
J-L. D. : J’étais certain que vous me poseriez cette question ! Ce sont en effet deux choses bien différentes. Le stress est une réponse de l’organisme à toute sollicitation qui va lui être faite. Exemples : Il fait très froid, je me retrouve face à un animal dangereux, je vais passer dans 5 minutes devant un jury pour un examen, etc. C’est une réaction organique naturelle, une décharge d’adrénaline, ce laps de temps pendant lequel vous allez vous adapter à cette situation. Le stress nous invite à dépasser nos capacités et parfois à nous surpasser. L’anxiété est davantage psychologique. C’est avoir peur d’un certain nombre de choses qui pourraient arriver face à une situation que j’anticipe et qui entraîne une somatisation. C’est plus un cheminement intellectuel.
Pourquoi sommes-nous de plus en plus anxieux ?
J-L. D. : Parce que nous sommes de plus en plus sollicités par la mondialisation, les nouvelles technologies de l’information, les conditions de travail, parce que nous sommes de plus en plus souvent dans l’urgence de faire tout le plus vite possible – même si la notion de temps n’est pas la même partout –, mais aussi parce que nous mettons la barre trop haut en permanence…
Existe-t-il des anxieux à vie ? Est-ce génétique ou héréditaire ?
J-L. D. : Il y en a, dans le sens où s’ils sont déjà anxieux de nature, et s’ils ne font rien pour la combattre, l’anxiété va s’aggraver au fil du temps. En matière d’anxiété, le poids de l’éducation est beaucoup plus important que le poids génétique. On peut en effet avoir été conditionné dans son enfance à être plus anxieux. Par ailleurs, on note que l’anxiété se développe souvent chez les personnes âgées qui sont isolées et manquent d’occupations. Si je suis seul et que je m’ennuie, que j’ai beaucoup de temps libre, je vais me mettre à penser en boucle et je vais faire monter mon anxiété.
« En matière d’anxiété, le poids de l’éducation est beaucoup plus important que le poids génétique. On peut en effet avoir été conditionné dans son enfance à être plus anxieux. »
Un manque de sommeil, une mauvaise alimentation ont-ils des effets néfastes sur l’anxiété ?
J-L. D. : Oui, bien entendu. Quelqu’un qui dort mal ou pas assez, va forcément développer une fatigue chronique qui fait le lit de l’anxiété. Une mauvaise alimentation va aggraver le processus, c’est certain.
Quand peut-on considérer qu’on souffre d’une anxiété généralisée ?
J-L. D. : Nous avons tous tendance à être anxieux et c’est normal. Il y a danger quand l’anxiété devient excessive, permanente, qu’elle devient pénible et invalidante. Le problème c’est l’altération de notre qualité de vie, la gêne engendrée par tout ce que l’anxiété nous oblige ou nous empêche de faire, l’entrave à notre liberté qu’elle représente, que ce soit dans notre vie personnelle ou professionnelle. Quand l’anxiété devient pathologique, cela devient un véritable handicap dans notre existence quotidienne.
Vous donnez dans votre livre de nombreux conseils et astuces pour surmonter son anxiété. Vous parlez notamment de réapprendre la respiration abdominale.
J-L. D. : Quand un bébé naît, c’est naturel pour lui, il respire par le ventre. Or, on s’aperçoit que cette habitude disparaît vers l’âge de 6-7 ans, quand l’enfant cesse de vivre à 100% au présent. A ce que l’on appelle « l’âge de raison », il rentre dans une capacité d’anxiété et d’anticipation, qui s’exprime par tout ce que l’on connaît : sensation d’oppression thoracique et de boule au ventre. Si l’on n’apprend pas la technique de respiration abdominale, cela va se développer et s’amplifier à l’âge adulte du fait de toutes les difficultés de la vie. Il y a pourtant une technique excessivement simple à mettre en place à chaque fois que l’on ressent de l’anxiété, à tout âge, c’est de réapprendre la respiration abdominale et de la pratiquer, comme une hygiène de vie, 3 à 4 fois toutes les demi-heures. Testez cette méthode à chaque fois que vous vivez un épisode anxieux, vous verrez, ça marche. Votre sensation d’anxiété va redescendre très rapidement.
La 2e technique qui a fait ses preuves selon vous est celle de l’arrêt de la pensée. Comment ça marche concrètement ?
J-L. D. : Si j’appréhende quelque chose ou une situation particulière, c’est ainsi, je me mets à y penser tout le temps, j’anticipe, j’imagine des choses affreuses. Le problème, c’est qu’on ne pense pas à arrêter le flot de ses pensées toxiques. Et pourtant, c’est possible, c’est une gymnastique qui s’apprend. A chaque pensée négative qui me trotte dans la tête, je décide de dire stop, de bloquer le flux de mes pensées, de fermer le robinet. Certaines personnes pour y arriver plus facilement disent « Stop » à voix haute ou en se regardant dans un miroir, d’autres visualisent un panneau de sens interdit. Quelle que soit la méthode, ça marche et ça arrête immédiatement les ruminations. Il faut le faire de façon systématique, sans réfléchir, sinon on active la zone du cerveau qui est responsable de l’anxiété. Il ne faut donc pas chercher de contre-arguments, il faut dire « Stop » et passer à autre chose. Si on couple cette méthode à celle de la respiration abdominale, on arrive à contrôler la plupart des épisodes anxieux. A condition bien entendu de ne pas souffrir d’anxiété généralisée, car dans ce cas, je conseille bien entendu de consulter un médecin ou un spécialiste.
« La plupart des épisodes anxieux peuvent se traiter sans médicaments, avec les techniques dont j’ai parlé. On peut donc surmonter très souvent l’anxiété par soi-même. C’est tout à fait possible. Si cela ne suffit pas, on peut faire quelques séances de thérapies cognitives comportementales. »
Si c’est le cas, il faut donc consulter rapidement ?
J-L. D. : Oui, car plus on attend, plus on se voile la face, plus on va s’enfermer dans un trouble anxieux généralisé qui va s’amplifier. Quelle que soit la forme d’anxiété qui nous fait souffrir, il faut se faire accompagner et aider. Souvent, quelques séances de thérapies cognitives comportementales suffiront, car elles ont déjà largement fait leurs preuves en la matière. On peut également envisager des séances de relaxation avec un sophrologue. D’autres fois, il faudra envisager des thérapies plus longues et se faire suivre par un psychiatre ou un psychothérapeute.
Existe-t-il des traitements contre l’anxiété qui ont fait leurs preuves ?
J-L. D. : La plupart des épisodes anxieux peuvent se traiter sans médicaments, avec les techniques dont j’ai parlé. On peut donc surmonter très souvent l’anxiété par soi-même. C’est tout à fait possible. Si cela ne suffit pas, on peut faire quelques séances de thérapies cognitives comportementales. Concernant les traitements médicamenteux, la plupart des antidépresseurs ont montré une efficacité sur l’anxiété. Autant pour une anxiété généralisée, ils sont nécessaires, autant pour de simples épisodes anxieux épisodique, on peut les éviter. On peut également se tourner vers des antidépresseurs plus naturels à base de plantes comme le Millepertuis, mais attention, ils ont les mêmes effets secondaires et les mêmes contre-indications que les antidépresseurs chimiques, d’où l’intérêt de consulter son médecin traitant et de ne pas pratiquer l’automédication.
Vous posez la question en fin d’ouvrage : « L’anxieux peut-il être heureux ? ». Il semblerait que oui ?
J-L. D. : Oui, c’est certain. C’est la façon dont je vais gérer ma vie quotidienne qui va faire que je vais m’angoisser ou pas. Le bonheur est un art qui se cultive. Il faut en prendre conscience et se le dire. Pour cela, il faut arrêter de se mettre en permanence la pression et de vouloir tout planifier, accepter d’être parfois anxieux et donc l’imperfection, lâcher un peu de son amour-propre, être patient avec soi-même, s’accepter tel que l’on est, s’aimer et se féliciter. Il faut réfléchir au lieu de ruminer et vivre l’instant présent.
Quel message essentiel souhaitez-vous que l’on retienne de votre livre sur l’anxiété ?
J-L. D. : Avant tout, celui d’un message d’espoir, à savoir qu’il est possible de se libérer de son anxiété. Certes cela demande des efforts, mais le sentiment de liberté que l’on ressent après en vaut la peine.
Propos recueillis par Valérie Loctin.