Médecin, psychiatre et psychothérapeute, Gérard Apfeldorfer est président du Groupe de réflexion sur l’obésité et le surpoids. En nous guidant vers l’alimentation intuitive, il nous aide à devenir mince et à le rester, en pleine santé physique et émotionnelle. Rencontre pour comprendre comment y parvenir.
Vous avez consacré une grande partie de votre carrière médicale à œuvrer pour lutter contre l’obésité et le surpoids. Pourquoi ce choix ? Parce que c’est un problème de santé publique ?
Dr Gérard Apfeldorfer : Oui, évidemment, mais aussi parce que pendant mes études de médecine et de psychiatrie, je me suis intéressé aux problèmes de l’obésité et à leurs liens étroits avec la psychologie. C’est un sujet qui a longtemps été négligé en France, pourtant nombre de soucis d’obésité et de surpoids sont liés à la psychologie. Pendant très longtemps, il y a eu une sorte de division entre les problèmes d’obésité et les troubles du comportement alimentaire (anorexie et boulimie). J’ai donc souhaité orienter mes travaux sur les liens étroits entre obésité, nutrition et troubles de l’alimentation et les étudier dans une même globalité.
Vous expliquez dans la préface de votre dernier livre qu’au XXe siècle on demandait aux personnes de se modérer dans leur consommation, mais que la donne a changé au XXIe siècle. Expliquez-nous.
Dr G.A. : C’est vrai. On a pris beaucoup plus au sérieux les travaux de neurophysiologie sur le contrôle du comportement alimentaire et le poids. Grâce à ces recherches et à leurs résultats, on sait maintenant que le poids sait se réguler, qu’il existe un poids d’équilibre pour chacun de nous. Et cela marche dans les deux sens, c’est-à-dire quand on est en dessous ou au-dessus de notre poids d’équilibre. On prend donc désormais en compte et au sérieux ce système de régulation naturelle de notre organisme. Quand on cherche à maigrir plus que de raison, c’est-à-dire en dessous de notre poids d’équilibre, on se met en guerre contre son corps, avec une guerre qui est perdue d’avance. Et c’est là tout le problème des régimes amaigrissants. Ils vous demandent de ne pas écouter vos sensations alimentaires : la faim et la satiété notamment. Alors, que si vous faites l’inverse, ce que j’appelle l’alimentation intuitive, c’est-à-dire écouter les signaux de votre corps et les respecter, vous maintiendrez un poids stable sans jamais vous peser et éliminerez sur le long terme tous les problèmes de surcharge pondérale.
Vous avez mis en exergue sept clés, sept serrures, pour enclencher le processus d’amaigrissement. Reprenons-les ensemble. La première, c’est « la clé de la décision de devenir mince ». Expliquez-nous.
Dr G.A. : Vous pouvez peut-être trouver curieux que je demande qu’on se pose la question. Pourtant, c’est essentiel pour démarrer le processus d’amaigrissement. Pourquoi souhaitez-vous maigrir ? Est-ce une décision personnelle ou l’influence de vos proches, de votre médecin, de la société ? Qu’est-ce que vous recherchez dans cet amaigrissement ? Un vrai désir de bien-être ou une forme de punition ? Est-ce que ça vous semble essentiel pour réussir votre vie personnelle, familiale, sociale, professionnelle ? Quand on prend conscience de ses motivations profondes, on est mieux armé pour avancer sur cette question.
« On vous conseille de ne pas attendre d’avoir faim, de manger sans faim. C’est une aberration ! Car dans ce cas, comment sentir qu’on est rassasié ? Pour retrouver ses sensations alimentaires, il faut attendre d’avoir faim pour manger. L’objectif est d’arriver à faire de cette faim une amie, un guide, plutôt que de chercher à la combattre.»
Et que dire de la deuxième clé, celle du comportement alimentaire ?
Dr G.A. : Les gens ne s’observent pas. Ils sont assez ignorants de leur façon de manger. Les obèses notamment ne veulent pas savoir et refusent de se pencher sur la question. Quand ils mangent beaucoup, ils ressentent selon les cas de la faute, de la culpabilité, voire parfois une forme de « péché ». Ils préfèrent oublier au fur et à mesure tout ce qu’ils ressentent, car ça leur fait mal. Je conseille au contraire d’explorer dans le détail ce qui les fait manger plus que de raison : leurs émotions, les phénomènes de compensation, d’ennui, de punition et d’essayer de comprendre à quel moment manger leur fait vraiment plaisir. Comprendre ce qui nous fait manger exagérément permet là encore d’avancer vers un nouveau mode d’alimentation.
Votre troisième clé est celle de « l’alimentation intuitive ».
Dr G.A. : Oui, là, on rentre dans le vif du sujet puisqu’il s’agit de comprendre comment s’y prendre. L’idée est de réapprendre à manger en suivant tout simplement ses sensations alimentaires. Mais pour cela, il faut déjà les retrouver. La plupart des régimes amaigrissants préconise de les perdre. Ce qui est une hérésie. On vous conseille de ne pas attendre d’avoir faim, de manger sans faim. C’est une aberration ! Car dans ce cas, comment sentir qu’on est rassasié ? Pour retrouver ses sensations alimentaires, il faut attendre d’avoir faim, afin de pouvoir identifier la faim. L’objectif est d’arriver à faire de cette faim une amie, un guide, plutôt que de chercher à la combattre. Ensuite, il faut réapprendre à déguster, à redécouvrir le goût en faisant attention à nos cinq sens, afin de retrouver toutes les sensations, de reprendre du plaisir à manger. C’est la meilleure façon de parvenir au rassasiement gustatif, au rassasiement sensoriel spécifique. Et si j’ai encore envie de manger, je passe à un autre aliment. Ainsi, on suit ses appétences et on mange varié. Et quand on suit ses appétences et son rassasiement, on parvient naturellement à un équilibre spontané de l’alimentation. L’idée n’est pas de chercher à faire l’équilibre sur un seul repas, mais sur l’ensemble de nos repas sur 10 à 15 jours. On peut très bien faire un gros dîner un soir et dans ce cas, manger moins au petit déjeuner le lendemain, parce qu’on a moins faim. Et si on a un petit creux à 11h, on le comble. En étant attentif à ses sensations et en les suivant, on applique cette fameuse alimentation intuitive qui nous permet de trouver notre poids d’équilibre.
Vous parlez ensuite de la clé de la nutrition. En quoi consiste-t-elle ?
Dr G.A. : L’alimentation s’équilibre d’elle-même, mais c’est rassurant pour chacun d’entre nous de comprendre comment ça marche, de savoir en quoi consiste nos aliments, comment fonctionne notre moteur. Ça permet aussi de rectifier le tir sur un certain nombre d’idées fausses ou d’idées reçues, véhiculées par certains médias. Car en termes de nutrition, on nous dit souvent tout et n’importe quoi. Par exemple, lorsqu’on accuse l’industrie agroalimentaire de tous les maux, on jette le bébé avec l’eau du bain. En France, cette industrie est très bien contrôlée par l’Etat, donc l’affubler de tous les maux est excessif. Nombre de plats industriels tout préparés sont parfaitement comestibles, il faut juste ne pas en consommer à tous les repas et privilégier bien entendu le fait de cuisiner « maison » avec des produits frais et de saison.
La clé suivante est celle de l’existence à soi. Que voulez-vous dire à ce propos ?
Dr G.A. : Nous rentrons ici de plein pied dans la psychologie et tous les aspects émotionnels de l’alimentation. On comprend que de nombreux troubles du comportement alimentaire existent, parce qu’on mange pour calmer ses émotions et non parce qu’on a faim. Ce n’est pas anormal de vouloir calmer ses émotions. Ce qui le devient, c’est quand ça s’emballe, quand il y a excès et donc addiction. D’où l’intérêt d’apprendre à travailler sur ses émotions, par des techniques notamment de méditation en pleine conscience. Cela apprend à vivre avec ses émotions qu’elles soient agréables ou désagréables. Ainsi, en les écoutant et en les laissant passer, elles se calment d’elles-mêmes. Il faut absolument expérimenter cette pleine conscience pour se rendre compte que ça marche. Ainsi, on ne rentre plus dans des routines mentales répétitives et toxiques. Avant, en psychologie, on nous demandait d’échanger des pensées négatives par des pensées positives. Aujourd’hui, on apprend à les laisser passer et ça change tout !
Sixième et septième clés, celles du corps et de la vie. C’est-à-dire ?
Dr G.A. : Le corps parle. Le problème de beaucoup d’obèses ou de personnes en surpoids est qu’ils sont insatisfaits de leur corps, ils le rejettent en bloc, ne veulent même plus le regarder. Ils sont fâchés avec leur corps et lui en veulent, à tel point qu’ils le punissent. Il est pourtant essentiel d’apprendre à se réconcilier avec ce corps certes souffrant mais vivant, en apprenant à en prendre soin. Ainsi, peu à peu, en renouant avec ce corps et en apprenant à le bichonner par des massages, des soins du corps, on reprend plaisir à le mettre en valeur, à l’habiller et à le faire bouger. Pour maigrir, il faut réhabiter son corps, lui faire du bien et réapprendre à l’aimer. La septième clé, celle de la vie, sert de synthèse à l’ensemble de mon livre et permet de regarder ce qui se passe en nous et dans notre existence quand on maigrit. Est-ce que tous nos problèmes se résolvent pour autant ? On voit bien que non ! Le meilleur exemple pour le démontrer est celui des « obèses maigres », c’est-à-dire ces anciens obèses devenus très minces, mais qui continuent à se voir très gros, alors qu’ils ne le sont plus. Cela arrive quand, notamment du fait d’une chirurgie bariatrique, ils n’ont pas eu le temps de s’habituer à leur nouveau corps. L’image du corps ne change pas, ils se voient toujours gros alors qu’ils sont devenus maigres.
« Je conseille de ne pas chercher à tout prix à atteindre son poids « idéal », mais plutôt de rechercher son véritable poids d’équilibre et de forme, grâce à cette fameusealimentation intuitive. »D’où l’intérêt, dites-vous, de « maigrir à moitié » ?
Dr G.A. : Oui, beaucoup de personnes mettent la barre trop haute et essayent de maigrir plus que de raison en atteignant un indice de masse corporelle (IMC) inférieur à 20, alors que la normalité est entre 20 et 25 pour rester en bonne santé. Je leur conseille donc de « maigrir à moitié », c’est-à-dire de ne pas chercher à tout prix à atteindre leur poids « idéal », mais plutôt de rechercher leur véritable poids d’équilibre et de forme, grâce à cette fameuse alimentation intuitive. Il est désormais prouvé que 95% des personnes qui cherchent à descendre en-dessous de leur poids d’équilibre n’arrivent pas à le maintenir sur la durée. Ils se frustrent en permanence et reprennent alors encore plus de kilos qu’ils n’en ont perdus. Il vaut donc mieux peser 3 à 7 kilos de plus que son poids idéal mais le maintenir sur la durée et rester en pleine santé, tant physique que mentale.
Comment trouver son poids d’équilibre et le maintenir ? Et comment l’accepter ?
Dr G.A. : Nous avons tous notre poids d’équilibre, même s’il n’existe pas de méthode pour le mesurer. Pour le trouver, il suffit d’apprendre sur la durée à suivre les règles de l’alimentation intuitive dont je vous ai parlé. Peu à peu, le corps perd naturellement ses kilos en trop et trouve son poids d’équilibre. Une fois trouvé, on ne perd plus de poids et on se stabilise. Le plus difficile, c’est donc d’accepter ce poids d’équilibre, surtout s’il est un peu au-dessus du poids idéal ou rêvé. Il faut accepter la génétique. Nous ne sommes pas tous faits pour être très minces. Alors le choix, c’est quoi ? Soit je cherche à manger toujours moins que mon poids d’équilibre, soit j’accepte mon poids d’équilibre et j’accepte de vivre avec. Car notre poids n’est pas la mesure de notre réussite sentimentale, sociale ou professionnelle ! Accepter son poids « santé », c’est vivre plus longtemps, en pleine forme et surtout plus heureux ! C’est ne plus être en lutte permanente contre son alimentation et ainsi se simplifier la vie et la rendre plus agréable et plus belle !
Dans quel cas, est-il nécessaire de se faire accompagner par une thérapie, par un psy ?
Dr G.A. : Dans bon nombre de cas, il n’est vraiment pas nécessaire de se précipiter chez un psy. Dans un premier temps, je conseille déjà de lire mon livre. De très nombreux lecteurs qui ont lu mon précédent ouvrage sur le sujet ont trouvé toutes les réponses à leurs questions et sont arrivés à maigrir en pleine santé. Je conseille ensuite à ceux qui ont besoin d’être accompagnés par un coaching d’aller sur le site internet que j’ai créé avec le nutritionniste Jean-Philippe Zermati, linecoaching.com, une thérapie en ligne qui permet à tout un chacun d’être guidé dans ses efforts de rénovation de son comportement alimentaire. Si cela ne suffit pas, et si la personne souffre de troubles du comportement alimentaire plus profonds, alors là, oui, je lui conseille de consulter un psy et de faire une thérapie (sur le site gros.org, ils trouveront des conseils et des adresses).
Un message à adresser à nos lecteurs pour conclure ?
Dr G.A. : Soyez gentil avec vous-même, ne vous brutalisez pas ! Il faut voir et faire de votre corps votre ami, voir et faire de la nourriture votre amie.
Propos recueillis par Valérie Loctin.