Faire une interview de Charlotte de Turckheim ressemble plus à une conversation à bâtons rompus avec une amie de toujours. Rencontre avec une réalisatrice et comédienne talentueuse, une femme accomplie, lumineuse de vérité et de sincérité, qui nous livre des facettes méconnues de sa personnalité.
Dans le préambule de votre livre, Marina de Baleine écrit : « le public est loin d’imaginer qui se cache derrière la façade de l’aristo mère de famille rigolote et bonne vivante ». C’était plus facile de sortir de votre zone de confort et d’accepter de vous livrer avec une amie ?
Charlotte de Turckheim : Oui, je pense que je n’aurais pas accepté avec quelqu’un d’autre, c’est vrai. Ça fait longtemps qu’elle m’en parle mais je ne voyais pas vraiment l’intérêt. Elle insistait beaucoup, ça m’a touchée et puis, quelque part, ça m’a intéressée de sortir comme vous dites de ma zone de confort. La confiance que j’ai en elle m’a permis de sauter le pas.
On sent une amitié solide entre vous. C’est important dans votre vie, l’amitié féminine, la sororité ?
C.d.T. : Oh oui ! C’est même quelque chose sur laquelle je me suis construite. Je ne sais pas si je serais la femme que je suis aujourd’hui sans mes trois amies intimes, Marina, Marie-Françoise et Annie. Est-ce que c’est de la sororité ? Je ne sais pas. C’est quelque chose de différent. J’ai des sœurs, mais le rapport qu’on a avec ses sœurs n’est pas le même que celui qu’on a avec ses amies. Mes sœurs et ma famille, c’est évidemment très important, mais mes amies, elles ont un regard extérieur, elles ne sont pas juges et parties. C’est plus facile quelquefois avec les amies qu’avec la famille.
« Je crois que ce qui m’amuse tout le temps dans la vie, c’est de créer. »
Vous vivez à Eygalières, au pied des Alpilles, dans une région familiale que vous adorez. Pourquoi ce choix de vie dans le Sud ?
C.d.T. : Je crois que ce n’est pas un choix. C’est quelque chose qui est venu naturellement, qui a coulé de source. Je suis toujours venue ici depuis que je suis petite. Je suis attachée à la campagne. Ma mère est née à la campagne du côté de Fontainebleau. C’était déjà dans ma vie d’une façon très forte. Je ne me suis jamais posée la question de vivre à Paris ou à la campagne. Un jour, je me suis rendue compte que j’étais installée à la campagne ! De la même manière, on m’a demandée un jour quand j’avais décidé de devenir metteur en scène de cinéma. Je n’ai pas décidé, un jour j’ai fait un film et puis voilà !
Dans ce Dictionnaire de votre vie, qui va de A à Z, vous auriez pu démarrer par Amour. En démarrant par A comme Afghanistan et en finissant par Z comme Zaman, vous l’avez fait mais autrement. N’est-ce pas la plus belle déclaration d’amour à votre mari ?
C.d.T. : C’est ce que mes copains ont dit à mon mari : « Eh bien, dis donc, on ne parle que de toi dans ce livre ! » Oui, bien sûr, c’est une déclaration, mais là, avec Marina, on s’en est rendu compte presque par hasard, à la fin. On ne l’a pas fait exprès. Maintenant, avec Z, il faut avouer qu’on n’avait pas beaucoup de choix, à part zèbre, zoo ou zen ! (rires) Et puis A comme amour, c’était peut-être un peu trop attendu…
On vous découvre bricoleuse, couturière, décoratrice, en plus de vos autres talents d’artiste. C’est ce qui vous a conduit naturellement à faire des chambres d’hôtes ?
C.d.T. : Absolument ! De même que ça m’a conduit naturellement à faire du café-théâtre, ça m’a conduit naturellement à faire des chambres d’hôtes. En fin de compte, quand vous créez un décor pour une pièce de théâtre ou pour un film, vous faites de la déco déjà. Dans ma vie, tout s’est toujours entremêlé car l’un s’inspire de l’autre en fait. Le fait d’avoir fait des vêtements quand j’étais jeune m’a amenée à faire des costumes de théâtre, puis des coussins et des rideaux.
Qu’est-ce qui vous plaît dans les chambres d’hôtes ? C’est la rencontre avec les autres ?
C.d.T. : D’abord, je crois que ce qui m’amuse tout le temps dans la vie, c’est de créer. La création, c’est vraiment mon truc. Finalement, quand je vois mes chambres d’hôtes, c’est comme si j’avais créé un décor pour le cinéma ou le théâtre, c’est comme un film quelque part. On propose aux gens de vivre une mini-représentation théâtrale. C’est moi qui me suis occupée de l’architecture, de la déco, du jardin. C’est de la mise en scène. Et ce qui me plaît beaucoup aussi, c’est de voir le bonheur des gens qui sont heureux de découvrir cette région. L’idée de partager, c’est vraiment important pour moi. Je ne pouvais pas garder ce petit paradis pour moi toute seule !
Vous écrivez « Moi, dans la vie, j’en fais trop, tout le temps. » Peut-on dire que vous êtes une hyperactive ou est-ce l’expression de vos « Multi Potentialités » ?
C.d.T. : Ce que les experts appellent « Multi Potentialités » ou « MP », c’est une forme d’intelligence en arborescence. Et quand on l’a en soi, une chose vous amène à une autre, et ça vous renvoie à une autre branche, etc. Et les choses se construisent dans votre tête presque toutes ensemble comme une sorte de maillage. Un « MP » est un hyperactif qui fait les choses plutôt simplement parce que tout est déjà lié dans sa tête. C’est comme si on faisait les choses ou qu’on créait en permanence en 3D, quoi ! Moi, ce sont les gens qui ne s’intéressent qu’à peu de choses qui m’étonnent ! On doit tellement s’ennuyer à ne faire qu’une chose ! Mais en fait, pas du tout. Ce sont juste des formes de cerveaux différentes.
Comment vos proches vivent-ils au quotidien vos multi-potentialités ?
C.d.T. : Avec Zaman, on se complète au quotidien dans tout. On n’est pas sur les mêmes modes. D’ailleurs, ce serait peut-être invivable si on fonctionnait pareil. Moi, je suis tout le temps en train de faire des dessins, de créer des trucs. Lui, il met en œuvre. Nous concevons tout à deux, mais on a chacun notre rôle, moi je suis la créatrice et lui, c’est le maître d’œuvre. Et ça fonctionne merveilleusement bien !
Vous revenez aussi sur votre passion plus connue pour l’équitation. Vous parlez d’une école de l’humilité qui aide aussi à se confronter à ses peurs et à obtenir des autres ce que l’on veut en douceur. Expliquez-nous.
C.d.T. : Oui, ça c’est vraiment quelque chose de très important, surtout quand on dirige des équipes de 80 personnes comme metteur en scène de cinéma. Dans la vie ou dans le management, on peut choisir le mode très autoritaire, dur, qui marche mais qui ne vous fera pas obtenir plus que ce que l’autre est décidé à vous donner. Si on passe par le dialogue, le consentement véritable de l’autre, alors il se sent impliqué, respecté et finalement, on obtient plus et mieux, dans la joie, sans le rapport de force qui est insupportable. C’est passionnant d’apprendre cela ! Dans le boulot, ça fait des rapports extrêmement agréables pour tout le monde. Comme je n’ai jamais été un despote, dans le cinéma, j’étais étonnée de voir certains metteurs en scène vraiment agressifs, caractériels, gueulards. Si le mec est génial, on prend sur soi et on se dit que ça en vaut quand même la peine, mais il faut être face à un génie absolu. L’équitation m’a beaucoup appris en effet, notamment à diriger les autres, en respectant mes propres valeurs et celles d’autrui, en mode gagnant-gagnant. Car vous savez, vous ne pouvez pas faire faire à un cheval ce dont il n’a pas envie. Dans le monde de l’entreprise aussi, celles qui marchent le mieux, ce sont celles qui tiennent compte du bien-être de leurs employés.
Vous avez toujours été tournée vers le développement personnel et les thérapies. Comment avez-vous appris à vivre avec vos peurs ?
C.d.T. : C’est grâce à l’équitation, aux thérapies que j’ai suivies, aux rencontres et aux livres de développement personnel. C’est un mélange de tout cela. Et puis, peut-être à un moment, la prise de conscience qu’on ne change pas vraiment, que l’on ne peut pas se débarrasser complètement de ses petites et grandes souffrances. Mais c’est fou comme le fait de prendre conscience, d’anticiper ses peurs, d’apprendre à mieux se connaître, est important. Ce qui compte, ce n’est pas de changer, mais de se connaître et de comprendre. D’ailleurs, je suis toujours étonnée quand je vois des gens autour de moi qui ne vont pas bien du tout et qui n’arrivent pas à faire quelque chose pour aller mieux. C’est un mystère pour moi. Je ne sais pas d’où vient cette conscience subite qui fait qu’à un moment, on arrive à se dire, il faut que je me fasse aider. Est-ce que les gens vivent comme une honte le fait d’aller mal et d’avouer qu’ils ont besoin d’aide ? D’ailleurs, moi je déteste le dicton « Pour vivre heureux, vivons cachés », car il a entraîné nombre de non-dits et de secrets de famille. Ça veut dire encourageons le silence. Ça a occasionné beaucoup de souffrances le fait de ne pas se dire les choses.
« Après m’être un peu rebellée, maintenant, je suis dans l’acceptation. Ça ne sert à rien de passer en force ou d’être autoritaire avec son corps. A un moment, il ne peut pas vous donner plus ou faire plus, c’est ainsi. »
C’est donc important pour vous ce mouvement de libération de la parole, notamment en ce qui concerne les violences faites aux femmes ? C’est une grande avancée de notre société ?
C.d.T. : Oh oui ! Je pense qu’on a franchi un cap énorme pour les femmes avec cette libération de la parole, qui se fait parfois de façon un peu excessive, mais ça me paraît indispensable, parce que dans toutes les familles, on a vécu beaucoup trop longtemps avec des secrets, des non-dits, parfois des comportements cachés qui sont moches. Je crois fondamentalement que l’essentiel de nos problèmes familiaux et mondiaux viennent des non-dits, des secrets et de ce qui n’est pas exprimé. Même si des progrès sont faits, je trouve qu’on vit encore trop dans le déni, le secret ; dans les familles, c’est encore très fort. C’est incroyable, aujourd’hui, quand je dis que je me suis faite avorter très jeune, je le ressens encore comme une faute, avec une forme de culpabilité. Tout cela est certainement le fruit de notre éducation, de notre société, de notre culture.
Autre thème évoqué, celui de la gourmandise et du poids. Comment avez-vous vécu votre ménopause ?
C.d.T. : Je l’ai vécue comme un cataclysme ! Mon corps ne m’avait jusque-là posé aucun problème, y compris à l’adolescence, au moment des premières règles, quand mes copines, elles, en faisaient tout un fromage et restaient allongées. Comme je n’avais rien, je me disais « quelles chochottes ! ». Moi, de ma naissance à mes 50 ans, tout allait bien. Ma vie avec mon corps était très harmonieuse. Et à 50 ans, bing, avec la ménopause, je me suis mise à prendre 15 kilos et j’ai eu toute la panoplie : des bouffées de chaleur puissance dix, des insomnies, j’avais même mauvais caractère… Quand on regarde les quinze plus gros inconvénients de la ménopause, je les avais tous en même temps ! (rires) J’ai mis du temps à faire le lien de cause à effet, surtout que chez moi, c’est arrivé très brutalement, en à peine six mois. Je n’ai pas eu le temps de la voir venir et de m’y préparer. En plus, c’était tabou à l’époque, on n’en parlait pas et c’était vu comme quelque chose de vachement négatif.
Comment vivez-vous aujourd’hui votre rapport à votre corps ? Etes-vous en paix ou en guerre avec lui ?
C.d.T. : Je dirais que ça dépend des jours. Le lundi, je suis en guerre, le mardi je suis complètement apaisée, le mercredi je m’en fous. Je suis comme tout le monde, si je vais dans un magasin pour acheter une robe qui me plaît vraiment et que je ne peux pas rentrer dedans, ça provoque quand même de la colère chez moi ! Contre moi-même, contre le fabricant, contre la terre entière ! (rires) Et comme la plupart des marques s’arrêtent au 44, voire au 42, et ne veulent pas habiller les femmes rondes, ça m’énerve ! Y’a des progrès avec les marques populaires, mais avec les marques haut de gamme, il n’est pas question d’être grosse ! J’ai l’impression que plus la marque est luxueuse, moins elle accepte le corps des femmes rondes.
Parlons aussi du temps qui passe et de l’âge. Comment le vivez-vous personnellement ?
C.d.T. : Après m’être un peu rebellée, maintenant, je suis dans l’acceptation. Pour que cette acceptation soit douce, un peu comme en équithérapie, ça ne sert à rien de passer en force ou d’être autoritaire avec son corps. A un moment, il ne peut pas vous donner plus ou faire plus, c’est ainsi. En revanche, ce n’est pas parce qu’on ne peut plus faire ce qu’on faisait auparavant qu’on ne peut pas faire d’autres choses. Par exemple, je n’avais jamais fait de vélo de ma vie. Mon médecin m’a dit qu’après 50 ans, il ne fallait faire que des sports « portés ». On a acheté deux vélos électriques avec Zaman pour Noël. Je trouve cela absolument délicieux. Et je peux vous dire que c’est du sport, parce que si on ne pédale pas, le vélo n’avance pas ! J’ai découvert le plaisir des activités physiques douces, le vélo, mais aussi le yoga qui est extraordinaire, car à mon âge, le plus important, ce sont les étirements et le renforcement des muscles profonds. En vieillissant, il faut passer de « je vais du sport pour être belle » à « je fais du sport pour être en bonne santé ». Car si je suis en bonne santé, je suis belle ! Et cela, je l’ai compris il y a peu de temps. Et du coup, on se sent mieux à tous points de vue, car on n’est plus dans la bagarre avec son corps. Par ailleurs, dans ma vie, j’ai dû tester tous les régimes qui existent, je pourrais même écrire un bouquin sur le sujet ! Récemment, j’ai vu une nutritionniste qui m’a dit « moi, je ne propose pas de régime, car ça ne marche pas ». La seule chose qui marche, c’est le changement profond d’alimentation dans le plaisir et sans frustration, avec patience et humilité, en étant doux avec soi-même. Elle m’a appris à manger lentement, qui est la règle N°1 selon elle, mais aussi la plus difficile à mettre en œuvre. En fait, c’est toujours le principe de l’équithérapie, arriver à obtenir plus en douceur. Et ça marche ! Mais on a tellement été élevées dans l’idée d’en « chier », qu’il faut souffrir pour être belle, qu’on en a oublié le plaisir et la douceur ! Et quand on vieillit, c’est encore plus vrai, l’âge impose plus de douceur avec soi-même.
Vous avez toujours eu un tempérament plutôt « rebelle ». Diriez-vous que vous êtes devenue une « rebelle douce » ?
C.d.T. : En fait, depuis toute petite, je me suis toujours posée des questions sur des choses établies. Le fait de ne pas remettre les choses en question me paraît dingue, voire insupportable. C’est en cela que je me sens vachement rebelle. Je me demande toujours « Pourquoi c’est comme ça ? Pourquoi on ne pourrait pas faire autrement ? » Dans tous les domaines, ça me semble toujours intéressant de réfléchir, de voir comment on pourrait faire mieux. C’est pour cela que ça me révolte d’obliger les jeunes à savoir et décider très tôt ce qu’ils veulent faire dans leur vie. Ça ne leur permet pas de développer toutes leurs potentialités.
Si on devait résumer aujourd’hui votre recette du bonheur et votre philosophie de vie, ce serait quoi ?
C.d.T. : Je dirais de toujours réajuster, de régulièrement se dire « Est-ce que je suis contente, est-ce ça me convient ce que je vis ? » Et cela, dans tous les domaines, sa vie de couple, son boulot, ses relations… De ne jamais rien considérer comme acquis et de faire ce travail régulier de remise en question et de questionnement doux et permanent sur soi. C’est important pour rester en bonne santé, de toujours être à l’écoute et délicat avec soi-même !
Propos recueillis par Valérie Loctin.