Nous sommes tous confrontés un jour ou l’autre, soit à demander le pardon soit à l’accorder. Mais peut-on vraiment pardonner ? Et si oui, pourquoi doit-on le faire ?
L’IMPORTANCE DE TOURNER LA PAGE
On a trop souvent fait du pardon un but en soi. Et s’il s’agissait plutôt de tourner la page pour pouvoir enfin se libérer ? D’assumer ses blessures bien plus que d’attendre une impossible réparation ? Lytta Basset, Professeure de théologie, philosophe et pasteure, a souvent présenté dans ses conférences la quintessence d’une recherche de plus de dix ans pour nous livrer les grandes étapes de cet incontournable travail de pacification avec le passé. Pas à pas, en s’appuyant sur des personnages ou des épisodes bibliques, elle nous invite à suivre une trajectoire de renouveau pour s’accepter et s’aimer, tout blessé que l’on soit. Alors seulement, l’unité intérieure se fait jour et la joie est au rendez-vous.
PARDONNER N’EST PAS OUBLIER
Pardonner ce n’est pas oublier, ce n’est pas non plus châtier, c’est seulement savoir que rien ne sera plus jamais comme avant. Alors qu’allons-nous faire pour qu’il n’y ait plus jamais cela ? Nous avons tous entendu cette phrase chrétienne de la prière du « Notre Père » : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». Le pardon est un rituel aussi important que délicat. Il faut en saisir le sens et se poser une série de questions d’usage – Qui a offensé qui ?, Qui pardonne à qui ?, Qui pardonne quoi et pourquoi ?, – afin de se libérer du joug d’un pardon administré façon verdict d’une cours de justice et prendre conscience de la relation qu’il y a entre l’offensé, l’offenseur et la réparation.
UNE PRISE DE CONSCIENCE
En réalité, lorsque nous commettons un acte négatif, il y a en premier lieu offense faite à soi-même et la responsabilité de l’acte nous incombe totalement. Par la relation de cause à effet, tout acte délictueux commis sciemment entraîne inévitablement un mal désastreux. En accordant – ce que l’on peut appeler notre pardon – à l’autre la possibilité de ne plus être sous l’influence du mal généré par son acte, nous nous libérons nous aussi de ce mal. Le pardon est donc un rituel qui commence par la prise de conscience de la portée de son acte, avant même de demander à quiconque de nous pardonner – il faut savoir de quoi et dans quel dessein. C’est une démarche qui commence à l’intérieur avant de s’extérioriser.
Même si Paul Toupin affirme que « La vie apprend à savoir pardonner, à tout pardonner. », il n’est pas si facile d’accorder miséricorde à celui ou celle qui nous a fait du mal, surtout quand on juge que la faute est lourde. Et pourtant, le pardon est libérateur.
DU CÔTÉ DE LA PSYCHANALYSE
Alors que le dictionnaire Larousse indique que « le pardon consiste à ne pas tenir rigueur d’une faute, d’une offense ou encore, qu’il peut s’agir d’une formule de politesse lorsqu’on dérange quelqu’un », la psychanalyse en donne une définition beaucoup plus large. En psychanalyse, pardonner consiste à prendre en compte les dispositions limitatives de l’autre. Ainsi, le pardon renvoie à un autre agresseur, à un individu, quoi qu’il en soit, en recherche de conflits. Sigmund Freud nous a permis de comprendre que rechercher le conflit masque une souffrance interne et des blessures intimes enfouies à l’intérieur de nous, au plus profond de nous-mêmes.
UN CHEMIN LONG & DIFFICILE
Pardonner n’appartient donc pas au domaine de la facilité. Cela nécessite une connaissance de soi qui s’étaye, fondamentalement, sur la compréhension des autres, sans pour autant prendre le risque de juger. De tout temps, certains philosophes ont justifié l’utilité du pardon en opposant le bien et le mal et il est évident que le pardon appartient au vocabulaire populaire et quotidien.
UNE INVITATION, UN DON DE SOI
Le pardon, message fondamental de l’Evangile dans la foi chrétienne est source de nombreux malentendus. Il est souvent perçu comme une potion magique, solution miracle à toutes les blessures. Or, Jacques Poujol, pasteur, psychothérapeute et conseiller conjugal et familial, nous indique que le pardon est plutôt un acte de justice – il n’y a pas de pardon possible sans repentir – qui rétablit une relation et permet à une situation d’évoluer.
DES CONDITIONS PRÉALABLES
Quels sont les conditions préalables au pardon ? Que faire si l’offenseur ne demande pas pardon ? Pourquoi est-il si difficile de demander ou d’offrir son pardon ? Dans l’un de ses livres, Jacques Poujol met en relation le pardon et la colère, l’un et l’autre s’articulant pour nous permettre de sortir de situations bloquées. La colère va pousser celui qui a été blessé à crier sa blessure. S’il est entendu, il pourra accorder le pardon, sinon il lui faudra s’en remettre à Dieu afin qu’il lui rende justice. Le véritable pardon n’est donc ni inconditionnel ni unilatéral. C’est une invitation, un don que l’on ne peut offrir qu’à celui qui en fait la demande. Bref, un vrai chemin de libération.
• Prendre sa blessure en considération et s’ouvrir à la possibilité d’y mettre fin.
• Accepter ses émotions passées et leur redonner leur juste place ici et maintenant.
• Renoncer à puiser dans le passé des raisons de perturber le présent et le futur
• Accepter que tout être humain n’est pas réductible à ses actes
• Comprendre que le pardon n’est pas une faiblesse mais une force
• Etre bienveillant envers soi-même
• Se donner la possibilité de tourner la page.
DU PARDON… À LA LIBERTÉ
Selon Karin Reuter, psychologue, directrice de l’Institut Hoffman France, « aucun, à première vue, si notre liberté est celle d’agir sans contrainte et le pardon le simple fait d’effacer l’ardoise… Plus que toute autre, ces deux notions nous renvoient à nous-mêmes, à la manière dont nous nous définissons, et donc à notre degré de conscience. Parler de pardon et de liberté, c’est parler de nous, c’est projeter ce que nous sommes. Être libre revient fondamentalement à être libéré, de notre vivant, de l’enclos à partir duquel nous faisons l’expérience de la vie. »
UNE JUSTICE À RÉTABLIR
Et le pardon, qu’a-t-il à voir avec tout cela ? Réponse de la psychologue : « On peut voir le pardon comme une justice qui se rétablit une fois que les comptes sont réglés. C’est un premier degré de compréhension. Plus profondément, on peut envisager aussi le pardon comme le renoncement à exiger réparation. La personne qui a été blessée accepte de s’ouvrir à nouveau là où elle s’est fermée, parfois pendant des années. C’est très différent d’un oubli. La personne offensée comprend profondément que celui ou celle qui l’a lésée ne pouvait pas agir autrement. Le cœur s’ouvre et la compassion lui permet de vivre la douleur de l’autre comme la sienne. Ne dit-on pas d’ailleurs que la personne qui pardonne est elle-même libérée du poids de la rancœur ou du ressentiment ? Le sentiment a pu être dit, la peine exprimée, et la vérité libère. Cela correspond à un niveau de conscience et d’amour beaucoup plus élevé. »
LE MIROIR PROJECTIF DU PARDON
Toujours selon Karin Reuter, il existe pourtant un niveau de pardon encore plus profond rendu possible par la pleine conscience de notre unité avec tout être vivant. Dans ces conditions, on reconnaît que personne ne nous a blessé sinon nous-même. L’autre n’est jamais qu’une autre facette de nous-même en tant qu’Absolu : il joue le rôle qu’on lui a prêté pour nous permettre d’intégrer une part d’ombre plus difficile à assumer.
RECONNAÎTRE LA BLESSURE
« On peut toucher ce niveau de pardon lorsqu’on réalise que ce qui est blessé en nous, lors d’un manque d’amour ou d’une forme de violence quelconque, n’est jamais que notre identité factice. La conscience sans limites que nous sommes reste à jamais inaltérée par ces actes ou ces paroles blessantes. Mais il est important ici de ne pas se raconter d’histoire en jouant les détachés… Il n’y a pas de pardon authentique sans reconnaissance de sa blessure, sans quoi on pourrait cautionner tous les abus. En même temps, il est essentiel de ne pas se réduire aux personnages blessés que nous portons en nous. » ajoute-t-elle.
UN CHEMIN DE LIBÉRATION INTÉRIEURE
Il est donc clair que le pardon transformera votre vision du passé et des événements du présent, notamment dans vos relations avec autrui. A l’inverse d’autres formes classiques de pardon, le pardon total va plus loin : vous apprenez à décrypter une situation conflictuelle, à totalement changer votre vision en comprenant en quoi cette situation n’est pas là pour vous stresser et vous angoisser, mais qu’elle est en vérité un plan d’évolution parfait pour vous, orchestré par votre âme et celle de la personne avec laquelle vous êtes en désaccord. La personne qui vous a offensé n’est alors plus votre bourreau, mais votre bienfaiteur ; vous n’êtes plus victime, mais bénéficiaire ; et le pardon et la libération se font spontanément, sans faux-semblant, totalement…
En comprenant pourquoi tant d’entre nous trouvent difficile de pardonner, on démonte ainsi le mécanisme de nos justifications et on y analyse les aspects toxiques de la hargne et de l’acrimonie. Car ces rancœurs entretiennent nos propres souffrances et nous poussent à poursuivre une guérilla qui se répercute sur notre organisme et notre vie. Alors oui, sous cet angle, pardonner est une voie vers la sagesse et la libération intérieure. E.A.