Ceux qui ont été confrontés à un proche qui refuse de lâcher le volant alors qu’il devient un danger pour autrui savent combien cette situation est délicate, puisqu’elle pose la question essentielle de l’autonomie comme celle de la sécurité routière.
AUCUNE RÉGLEMENTATION EN FRANCE
Aucune réglementation spécifique n’existe en ce qui concerne les conducteurs âgés ou plus couramment nommés « seniors ». La raison en est simple : les conducteurs âgés ne doivent pas être considérés comme des sujets à risque du seul fait de leur état-civil, mais plutôt du fait du plus grand risque qu’ils ont de souffrir de pathologies dont la survenue individuelle n’est pas forcement liée à l’âge (hypertension, troubles visuels, pathologies articulaires), mais qui sont susceptibles d’interférer avec leur capacité de conduite.
LA VOITURE : UN OUTIL AU QUOTIDIEN
Globalement, les seniors revendiquent une forte autonomie, dans l’organisation de leur vie personnelle et dans leurs déplacements. L’autonomie est emblématique d’une résistance à la vieillesse, d’une capacité à se prendre en charge seul, sans l’aide des autres. Chez les seniors, les déplacements restent dominés par la voiture dans la plupart des cas, notamment pour ceux à caractère obligatoire comme les courses en grandes surfaces, les démarches courantes (poste, banque, mairie, médecin, etc.), mais aussi les non obligatoires (balades, visites, activités associatives, loisirs, pratique religieuse, vacances, etc.), d’autant plus si l’on vit en zone rurale, loin de tout.
DES DIFFICULTÉS PLUS OU MOINS AVOUÉES
Dès 60 ans, et surtout à partir de 75 ans, apparaissent des réticences à conduire la nuit chez la plupart des interlocuteurs et quand les conditions météorologiques se dégradent : pluie, verglas, brouillard. Mais aussi des réticences à l’égard des giratoires, de l’autoroute et l’apparition plus rapide de la sensation de fatigue, voire de perte d’attention, de vigilance. Une érosion de la confiance en soi avec deux conséquences : un évitement des situations dans lesquelles on se sent mal à l’aise, une baisse du kilométrage parcouru. En cela, on constate une autolimitation plus ou moins consciente et assumée de la conduite automobile.
DES IMPLICATIONS PSYCHOLOGIQUES
De nombreux seniors se rendent compte que conduire devient plus compliqué mais les implications psychologiques sont importantes. Ils se savent plus ou moins menacés dans leur mobilité à plus ou moins brève échéance, mais ils ne l’admettent pas forcément. Ils reconnaissent assez facilement une fragilité croissante, mais ils ont tendance à rejeter leurs difficultés, leurs peurs sur les autres. On constate chez de nombreux seniors un refus de tout changement dans les habitudes, un rejet de toutes aides, et des réticences à l’égard de tout ce qui devrait conduire à admettre une dégradation importante de l’autonomie et de la mobilité.
3 TYPES DE RÉACTIONS
Le déni
Ces interlocuteurs minimisent l’évolution de leur état physiologique et son impact sur la conduite : « je n’ai jamais eu d’appréhension sur la route » « je peux faire encore 1200 kilomètres d’une traite sans problème et je le fais parce que je peux le faire, je m’en sens les capacités ».
L’acceptation passive
On constate la dégradation de son état général et de sa capacité à conduire. On se sent de plus en plus mal à l’aise. Le vieillissement est vécu comme un processus inéluctable. « j’ai constaté que physiquement j’avais baissé, donc je me suis dit qu’il était inutile de prendre des risques au volant. Il faut être raisonnable pour soi pour commencer. »
La lucidité réactive
Une lucidité qui porte notamment sur l’état de santé, en se posant la question de leur formation, de l’évaluation de leur aptitude à conduire, en s’informant.
VERS L’ARRÊT DE LA CONDUITE
Les accidents sont très souvent mal vécus, et à plus forte raison quand ils sont répétitifs. On constate souvent des réactions de déni mais ces accidents peuvent constituer une alerte pour les enfants. L’arrêt peut donc résulter d’une démarche individuelle par incapacité à conduire, suite à des accidents répétitifs ou d’une démarche familiale plus ou moins difficile et brutale. Dans certains cas, les enfants ont interdit à leurs parents de se servir de leur voiture, mais on n’est jamais sûr qu’ils ne reprennent pas le volant quand les enfants ne sont pas là. Chez les plus âgés (au-delà de 75 ans), il existe deux types de réactions : l’acceptation du fait qu’on ne sera plus capable de conduire à plus ou moins long terme et le rejet de cette hypothèse comme phénomène annonciateur de la mort.
UNE VRAIE DIFFICULTÉ POUR LES ENFANTS
De façon générale, les enfants se sentent « mal placés » pour aborder la problématique de la conduite automobile avec leurs parents. On constate que les échanges parents/enfants comportent de nombreux évitements (éviter les sujets qui fâchent) par crainte d’un rejet. Les proches admettent toutefois pouvoir constituer un relais d’information à destination de leurs parents. Pour les seniors, comme pour les enfants, les médecins constituent une autorité. Pour les enfants, « c’est l’interlocuteur numéro 1 », « c’est plus facile pour faire avaler la pilule » On constate quelques cas où le médecin a conseillé à son patient de ne plus conduire avec succès. « ma mère a écouté le médecin, elle n’a plus conduit ». Relativement peu de seniors semblent toutefois avoir abordé le problème de leur capacité à conduire avec leur médecin.
L’AVIS ESSENTIEL DES MÉDECINS
Les médecins interrogés sont très prudents en ce qui concerne leur rôle de conseil en matière d’utilisation de la voiture : « c’est un sujet difficile à aborder », « si on leur dit de ne plus bouger de chez eux, c’est comme si on leur disait : vous êtes foutus », sauf pour raison médicale. Pour les médecins, le problème de la conduite automobile ne peut être abordé qu’à plusieurs conditions : si une réglementation détermine leur rôle à cet égard et si les proches (conjoint, enfants) sont présents. D’ailleurs, une partie des médecins considère que la présence des enfants est plus efficace que celle du conjoint (qui a tendance à se faire l’avocat du conducteur).
L’IMPORTANCE DES AUTRES ACTEURS
Les autres acteurs, et notamment les acteurs de la prévention (collectivités, associations, etc.) peuvent avoir un rôle très important dans ce contexte. Ils peuvent en effet avoir un rôle de médiation, ce que le médecin ne parvient pas à jouer et que les enfants peuvent difficilement endosser. Ils peuvent valoriser une expérience des seniors au travers de diverses actions d’accompagnement. Ils peuvent être pédagogues sans jugement de valeur et les inciter à faire notamment des stages de conduite pour évaluer s’ils en ont encore les pleines capacités.
FAIRE PREUVE DE DOUCEUR ET TROUVER DES SOLUTIONS
L’arrêt de la conduite peut donc résulter d’une démarche individuelle (arrêt par incapacité à conduire, suite à des accidents répétitifs), d’une démarche familiale plus ou moins difficile et brutale, d’une démarche médicale pour raison de santé, voire d’une décision de la commission préfectorale. En cas de déni du conducteur âgé dont la conduite devient vraiment dangereuse pour lui et pour autrui, de nombreuses familles se tournent vers l’aide du médecin traitant. Et quand cela s’impose, la dernière solution revient à confisquer les clés et la voiture… Si vous devez en arriver là, faites preuve de douceur et de psychologie et mettez en place d’autres solutions de mobilités pour votre proche : transports publics collectifs ou non (transports en commun, taxi) ou transports dans le cadre d’entraide (co-voiturage, voisins, enfants,…). I.N.