Catherine Laulhère, enseignante, auteure et éditrice, a assisté à des centaines de consultations chez des gynécologues pour écouter et comprendre ce qui se joue entre les femmes et ces médecins spécialistes de l’intimité. Son livre, très complet, répond à toutes les questions féminines sans tabou ni langue de bois. Rencontre.
Aviez-vous pensé à écrire ce livre avant que la parole des femmes se libère, notamment sur les violences gynécologiques et qu’est-ce qui vous a convaincue ?
Catherine Laulhère : Très tôt, à l’âge de 25 ans, on m’a annoncé non seulement une leucémie mais aussi un traitement qui me rendrait stérile. A la fin de ma chimio, je suis tombée enceinte et on m’a proposé un rendez-vous pour me faire avorter, sous prétexte que j’étais trop faible pour mener à bien une maternité. Mais c’était sans compter sur mon obstination et sur le fait que la vie triomphe bien souvent. Résultat, mon bébé est né en pleine santé au bout de 9 mois. Cet exemple personnel s’est enrichi, avec les années, de nombreux témoignages de femmes de mon entourage sur le manque de dialogue, d’attention ou de bienveillance de la part de médecins gynécologues. Et puis en effet, la parole des femmes a commencé à se libérer sur un certain nombre de violences gynécologiques et obstétricales. Même si en France, nous sommes mieux loties que dans bon nombre de pays en termes d’acquis de santé, nous savons toutes que les acquis ne sont jamais totalement acquis. Mon côté militante s’est réveillé. D’où mon idée de mener mon enquête, d’assister à des centaines de consultations gynécologiques et d’en faire la synthèse dans ce livre, pour raconter ce qui se joue aujourd’hui.
Est-ce d’après vous encore un sujet tabou en France où les choses évoluent-elles dans le bon sens ?
C.L. : Ce n’est que le début car nous sommes encore confrontées à tellement de problèmes ! Les choses ont évolué en effet, et c’est tant mieux, sur de nombreux sujets comme les règles, la ménopause, le fait d’avoir un enfant sur le tard, mais ça n’avance pas assez vite pour autant. On commence à en parler, notamment dans les médias, mais on en est encore à la préhistoire ! C’est pour cela qu’il était essentiel de prendre le temps d’écouter les femmes sur toutes ces questions. D’ailleurs, toutes ont accepté sans exception que j’assiste à leurs consultations avec leurs gynécologues ; preuve que les femmes veulent que ça change. Il y a un vrai besoin d’information sur toutes ces questions.
« Les choses ont évolué sur de nombreux sujets comme les règles, la ménopause, le fait d’avoir un enfant sur le tard, mais ça n’avance pas assez vite pour autant. »
Si les femmes sont si mal informées, la faute à qui ? A leurs parents ?
C.L. : Je me suis rendu compte en effet que les femmes sont en général très mal informées. Quand on est une jeune fille, qui questionner à part sa propre mère, qui en parle souvent peu ou mal, parce que c’est trop tabou pour elle et que ça la gêne ? Il y a un vrai débat : à quel âge parler de ces questions ? Avec qui ? Avec quels mots ? A l’école, on informe sur le strict minimum. Et quand elles sont face à leurs gynécos, les femmes sont toujours un peu impressionnées par la fonction médicale, par celui qui détient le savoir. Pourtant, pour que ça change, il faut qu’elles osent parler, qu’elles osent poser des questions précises. Il faut qu’elles préparent leurs questions avant le rendez-vous avec leur gynécologue. Et puis, il faut qu’elles choisissent le praticien qui leur convient, qui sait les écouter, leur parler et répondre à leurs interrogations. S’il ne leur convient pas, il faut en changer.
L’autre problème, c’est que les gynécologues sont aujourd’hui une profession en voie de disparition…
C.L. : Oui, ils ne seront plus que 535 pour toute la France en 2015… Au secours ! Des pétitions ont été lancées avec des comités de soutien très actifs. Il faut aujourd’hui que les pouvoirs publics réagissent et trouvent des solutions. Je sais que la ministre de la Santé travaille sur la question. Mais il faut faire vite, il y a urgence !
Après avoir mené votre enquête, que dire des gynécos d’aujourd’hui ? Peut-on leur faire majoritairement confiance ?
C.L. : Ils sont le reflet de la société. Comme dans toutes les autres professions, il y en a des bons et des moins bons. Le problème de fond est que même très compétents, ils n’ont pas été formés à être psychologues. Il y a ceux chez qui l’écoute et la bienveillance sont innées… et les autres… Et puis, il y a ceux qui en ont marre… Tous les cas de figure existent.
Ne devrait-on pas les inciter à faire des études de psychologie pendant leur cursus ?
C.L. : Oui, ce serait très utile, mais pas seulement pour les gynécologues, pour tous les médecins et toutes les professions médicales en général !
Dans votre livre, tous les sujets sont abordés. Pour commencer, quelle est votre position sur les protections périodiques et leurs dangers ?
C.L. : Première chose, il est essentiel que les pouvoirs publics exigent que les fabricants indiquent la composition détaillée de leurs produits sur les packagings. C’est la meilleure façon de les inciter à plus de transparence, à ne plus utiliser n’importe quel perturbateur endocrinien, et à éviter que les femmes se servent de protections périodiques bourrées de produits chimiques. Les nouvelles générations ne jurent que par les coupes menstruelles. Pourquoi pas ? Je comprends ce retour à la nature. Mais moi, je suis d’une génération qui a trouvé dans les tampons une super invention qui nous a sacrément facilité la vie au quotidien. Le tout, c’est donc de savoir comment sont fabriquées les protections périodiques, afin de ne pas se mettre en danger en les utilisant. Ensuite, on a le choix, donc à chacune de trouver ce qui lui convient le mieux.
Et votre avis sur les différentes méthodes et moyens de contraception ?
C.L. : Mon avis personnel, de façon très générale, c’est que la pilule et le stérilet sont très confortables, beaucoup plus que de mettre un préservatif quand on connaît bien son partenaire. Est-ce propre à ma génération ? Je ne sais pas. La pilule a été une immense invention qui a révolutionné l’existence des femmes. Le problème aujourd’hui est ailleurs. On en a surtout ras le bol des abus en tous genres des industriels, des lobbies et des excès de ce système capitaliste et consumériste. Résultat, les femmes ont du mal à s’y retrouver entre l’info et l’intox propres à la société d’aujourd’hui.
L’endométriose (qui touche 10% des femmes), désormais à la Une des médias, reste mal diagnostiquée. Va-t-on vers une amélioration selon vous ?
C.L. : C’est un vrai sujet. Grâce aux médias et à la parole qui se libère sur cette question, cette maladie très invalidante pour les femmes est aujourd’hui mieux connue. Les choses bougent, mais là encore, pas assez vite. On a l’impression d’être bloquées au 19e siècle ! Il y a pourtant des choses à faire pour qu’on puisse la diagnostiquer beaucoup plus tôt. Je sais que sur cette question aussi, la ministre actuelle de la Santé semble déterminée à faire avancer le débat.
« Il faut que les femmes de tout âge comprennent une bonne fois pour toutes qu’il n’y a pas de poids idéal, pas de taille idéale, pas de mensurations idéales. On le voit bien sur la plage, il n’existe pas deux femmes faites pareil ! »
Derrière la question de la gynécologie, il y a le difficile rapport des femmes à leur corps, les complexes, les maladies du comportement alimentaire, l’obésité, la nudité… Comment réconcilier les femmes avec leur corps ?
C.L. : Peut-être que sur cette question, la presse féminine a sa part de responsabilités et des questions à se poser ! Et si les magazines cessaient de ne montrer que des images de femmes soit disant idéales, retouchées et photoshoppées ? Il faut que les femmes de tout âge comprennent une bonne fois pour toutes qu’il n’y a pas de poids idéal, pas de taille idéale, pas de mensurations idéales. On le voit bien sur la plage, il n’existe pas deux femmes faites pareil ! Ce qui compte, c’est de se sentir bien dans son corps et dans sa peau. Sur cette question, je trouve quand même les jeunes femmes d’aujourd’hui beaucoup plus détendues que nous l’étions au même âge. Et en même temps, sur des questions aussi centrales que le droit à l’avortement, je sens chez elles une vraie prise de conscience.
Autre thème, les infections sexuellement transmissibles. On se rend compte que certaines femmes hésitent encore à consulter…
C.L. : Pas étonnant… car j’ai vu nombre de gynécologues hommes faire des leçons de morale à leurs patientes ! Comme si avoir une IST était de leur faute ! Il faut arrêter de se voiler la face. Le désir ne se passe pas toujours de façon rationnelle et préparée. Ce qui m’énerve, c’est que certains font des leçons de morale aux femmes, mais jamais aux hommes ! Alors qu’il faut être deux pour avoir une relation sexuelle. Il faut que les femmes se réveillent et ne se laissent plus faire ni traiter de la sorte.
Et puis, il y a la peur de la maladie grave, du cancer notamment…
C.L. : Oui et plus vite on la dépasse, plus vite et mieux on se fait suivre et traiter s’il y a un vrai problème. Heureusement, notre système de santé a évolué dans le bon sens avec les consultations annuelles, les frottis, le dépistage des cancers du sein, de l’utérus et du côlon… Et puis, les finances ne sont plus un frein, on peut consulter librement et gratuitement grâce au planning familial, aux hôpitaux publics, à notre système de Sécurité sociale et de CMU.
La ménopause est souvent une période où les femmes se sentent incomprises par leur gynéco, notamment masculins…
C.L. : C’est vrai. Mais là, ce qui a évolué, c’est que les femmes ont changé. Les femmes de 50 ans et plus d’aujourd’hui ne sont pas les femmes de 50 ans d’hier. Elles sont de plus en plus belles et épanouies. Il faut donc arrêter avec le tabou de la ménopause. Il faut que les femmes se détendent sur cette question. Qu’on se le dise, on ne s’écroule pas subitement quand on est ménopausée ! Au contraire, on revit ! La sexualité devient plus libre et épanouie. Et puis, il y a plein de solutions, notamment naturelles, pour avoir moins d’effets secondaires désagréables comme les bouffées de chaleur.
Que dire aux femmes qui n’arrivent plus à avoir de consultation médicale avec un gynéco après 70 ans ? Quelle est la solution ?
C.L. : Il faut qu’elles changent de gynéco et trouvent celui qui acceptera de les recevoir. Même s’ils sont moins nombreux, ils existent ! Là encore, les choses ont changé, de nombreuses femmes sont dans une forme éblouissante après 70 ans et ont toujours une vie sexuelle épanouissante.
Un mot pour conclure ?
C.L. : Soyons nous-mêmes, prenons soin de nous et faisons attention à nous ! On n’a qu’une vie, qu’un corps, alors prenons-en grand soin. Et surtout soyons bienveillantes avec nous-mêmes !
Propos recueillis par Valérie Loctin.