Elle est l’une des plus belles voix de la chanson française, « la seule Blanche avec une voix de chanteuse noire » disait d’elle son ami Ray Charles, qui lui avait fait l’honneur de la considérer comme une Soul Sister. Nicoletta, c’est une carrière exceptionnelle avec 50 ans de scène, de soul, de blues et de gospel. Rencontre à l’occasion de la sortie de son livre autobiographique sublimement illustré.
Nicole Grisoni, que tout le monde connaît sous son nom de scène, Nicoletta, c’est aussi un répertoire somptueux et plus qu’actuel, écrit par les plus grands auteurs, qui resonne dans le cœur de tous, de Il est mort le soleil à La musique en passant par Mamy blue, Ma vie c’est un manège, Les volets clos, Fio maravilla, L’amour violet, Jeff, Agadir, Vivre pour l’Amour, Les hauts murs, Idées noires, Disco Queen, Happy day, Femmes de Paris, ou Summertime… 23 albums et plus de 3000 concerts, qui ont sensibilisé des milliers d’admirateurs à travers le monde, et fait de Nicoletta une artiste unique de la chanson française. Sa voix rare, inimitable et ses chansons inoubliables qui nous accompagnent depuis tant d’années, appartiennent à notre histoire et à nos vies. Nous l’avons rencontrée, alors qu’elle fêtera en avril 2021 ses 77 printemps, pour parler de l’aventure incroyable de sa vie.
Pourquoi ce magnifique livre où vous racontez votre parcours et votre carrière en textes et en images ?
Nicoletta : Parce que j’avais envie de fêter ces 50 ans de scène avec le public qui a toujours été à mes côtés. J’espère surtout que cet ouvrage va leur plaire. Le livre sort en février 2021, à un moment où j’aurais dû être sur scène au Lido pour des récitals exceptionnels. La crise sanitaire actuelle nous a obligés à les reporter du 4 au 7 novembre 2021 dans ce magnifique cabaret parisien. J’ai déjà hâte d’y être et de retrouver ce moment de complicité et de partage avec le public. En amour, il y a des rendez-vous qu’il ne faut jamais manquer ! Tout au long de ces cinquante ans de scène, de ces cinquante ans de passion, j’ai toujours vécu chacune de ces rencontres comme un immense privilège et la fidélité du public m’a donné la force de continuer. J’ai donc envie de dire à tous : Merci d’être là. Merci d’être le miracle de ma vie !
À la fin des années 1960, la jeune Nicole Grisoni (née le 11 avril 1944 à Vongy, près de Thonon-les-Bains en Haute-Savoie), devenue Nicoletta de son nom de scène, n’imaginait pas un tel succès ! La Musique, Ma vie c’est un manège, Il est mort le soleil, Mamy Blue, Les Volets clos : les tubes s’enchaînent et la chanteuse parcourt le monde, de récital en récital. Depuis plus de cinquante ans, elle se produit seule avec ses musiciens et ses choristes, ou encore en duo avec Bernard Lavilliers, Joey Starr ou Florent Pagny. Sa voix puissante sert magnifiquement le Gospel qu’elle a popularisé en France.
Vous découvrez à l’âge de 8 ans le secret de famille de votre naissance et vous êtes confrontée au rejet de votre père et à une maman différente. Vous avez eu cependant une grand-mère exceptionnelle, Claudia, qui a été « la lumière » de votre vie. C’est elle qui vous a rendue plus forte face aux épreuves ?
N.G. : Oui, indéniablement et je peux vous dire que je l’ai beaucoup admirée. C’était la force de la famille. Elle avait 39 ans quand je suis née. Née d’une maman qui souffrait d’un retard mental et d’un père absent, c’est grâce à l’amour de ma grand-mère que j’ai toujours pu réussir à transformer en force les épreuves ou les difficultés de ma vie. Ma grand-mère étant héroïque, forte, courageuse, elle se tenait toujours droite malgré les drames. C’est elle qui m’a indiqué le chemin. C’est pour cela qu’elle a été la lumière de ma vie. D’ailleurs, c’est elle qui m’a offert la liberté en m’émancipant à 18 ans, alors que la majorité était à 21 ans à l’époque, ce qui m’a permis de partir vivre ma vie et de travailler. Et puis j’ai toujours eu la foi, depuis que je suis toute petite, même si ma croyance intime est devenue œcuménique avec les années et a forgé ma propre spiritualité.
«Je savais que j’avais une voix, mais comme je n’avais pas de technique, je doutais. En fait, à cette époque, je croyais que tout le monde savait chanter. C’est à l’école secondaire, quand j’ai participé à des chorales, que j’ai commencé à comprendre que ma voix avait quelque chose de particulier.»
En quoi votre rencontre en 1964 avec le chanteur Hervé Vilard a-t-elle été essentielle ?
N.G. : Parce qu’on se comprenait ! Même si je me sentais privilégiée par rapport à Hervé qui était passé d’orphelinats en familles d’accueil, alors que moi j’avais eu une famille et de l’affection, on se sentait très proches, comme frère et soeur. Quand je l’ai rencontré, il était déjà célèbre et son 2e disque, Capri, c’est fini, rencontrait un succès phénoménal. Si notre rencontre a été essentielle pour moi, c’est non seulement parce qu’il m’a aidée, mais aussi parce qu’il a pu me montrer la voie, qu’il m’a fait comprendre que c’était possible et qu’il fallait croire en moi. Grâce à lui, je me suis dit, si Hervé y est arrivé, je peux y arriver moi aussi !
Etiez-vous consciente à vos débuts d’avoir une voix exceptionnelle ?
N.G. : Je savais que j’avais une voix, mais comme je n’avais pas de technique, je doutais. En fait, à cette époque, je croyais que tout le monde savait chanter. C’est à l’école secondaire, quand j’ai participé à des chorales, que j’ai commencé à comprendre que ma voix avait quelque chose de particulier. Mais c’est surtout Hervé Vilard qui m’a fait comprendre que j’avais un don, même si le public n’était pas encore habitué à ce type de voix. Moi, j’étais plutôt sensible à la voix d’une Nana Mouskouri qui était d’une pureté et d’une beauté exceptionnelles ! Ceci étant dit, c’est à cette époque que je signe mon premier contrat avec les disques Riviera (Barclay) grâce au bassiste et directeur artistique de Nino Ferrer. Puis c’est ma rencontre avec Léo Missir de l’équipe d’Eddy Barclay. Il décide de sortir en 1967 mon premier 45 tours et crée mon fan’s club. Le succès a été immédiat.
Puis, c’est votre première tournée, en première partie d’Adamo avec Michel Fugain et ensuite, la tournée folle avec Johnny Hallyday ?
N.G. : On était tous des gamins à l’époque ! On était comme des saltimbanques ! Il n’y avait pas d’hôtels de luxe dans ces années-là. On dormait dans des petits hôtels deux étoiles et des auberges familiales où l’on était reçu comme des membres de la famille justement. Il régnait un esprit de troupe fantastique. L’occasion dans mon livre de montrer un Johnny joyeux. On était comme frère et sœur. Il venait à mes répétitions, il s’occupait de mes éclairages, il m’a même donné son pianiste. Il était extrêmement drôle et joyeux. C’était vraiment l’âge d’or de notre métier. Ce livre m’a aussi donné l’occasion de parler de tous les autres grands artistes qui ont tous joué un rôle. De Jacques Brel qui était lui aussi comme un grand frère à Léo Ferré, en passant par Charles Aznavour qui m’intimidait beaucoup, car même s’il n’était pas très grand, il avait vraiment de la hauteur ! C’est d’ailleurs lui qui m’a imposée aux Carpentier dans leurs émissions à la télévision.
A un moment, vous avez pourtant été tentée de tout lâcher, par fatigue. Mais là encore, c’est votre grand-mère qui vous a fait tenir ?
N.G. : Ma grand-mère était tellement heureuse de ma réussite que je lui devais de ne pas lâcher, même si j’étais épuisée par le rythme dingue des tournées. Je me devais d’aller jusqu’au bout, de ne pas arrêter, pour elle. Et puis, quand je la voyais, elle avait ce don, ce talent, de savoir me régénérer par ses paroles, ses encouragements, son amour, sa fierté. Car il ne faut pas croire que ma carrière ait toujours été un long fleuve tranquille ou sans cesse jalonnée de succès. J’ai aussi connu de grosses embûches. A un moment de ma carrière, j’ai même dû vendre ma maison pour produire moi-même mes disques, car Barclay avait vendu son catalogue à Universal qui me laissait de côté. C’est à ce moment-là que j’ai eu l’appel de Bernard Lavilliers. Ce qui me fait dire que j’ai toujours eu beaucoup de chance, avec des rencontres très positives, très fortifiantes, qui sont toujours arrivées au bon moment sur ma route. Tout cela fait de moi une privilégiée et une chanceuse !
«Moi, ma règle, c’est de me lever le matin en me disant « Qu’est-ce qui va m’arriver de joli aujourd’hui ? » L’autre règle, c’est de cultiver le lien aux autres et de ne pas se replier sur soi.»
Vous qui veniez d’un milieu modeste, vous avez pu découvrir la gloire et l’argent. Comment les avez-vous vécus ?
N.G. : L’argent n’a jamais été mon point fort. Même si j’en ai gagné, j’en ai surtout beaucoup dépensé pour aider mes amis. Pour moi, l’argent n’a jamais été un objectif, c’est juste un moyen. C’est pourquoi, quand j’en manque, je ne suis jamais catastrophée. Certainement, parce que j’ai été élevée dans le manque et que j’ai toujours vu ma grand-mère travailler énormément. Je connais le sens et les valeurs du travail et j’ai toujours appris à faire attention, à ne pas trop dépenser pour moi. C’est le cas actuellement avec la crise sanitaire. On ne travaille pas, donc il faut faire plus attention, en attendant la reprise des activités culturelles et scéniques et donc… des jours meilleurs.
La jeune génération vous connaît aussi grâce à « La Musique », votre tube repris par la Star Academy en 2000. Ça vous a fait plaisir ?
N.G. : Cette chanson de 1967 était très bonne pour le jeune espoir de la chanson que j’étais à l’époque. Ça a été une très jolie carte de visite pour démarrer ma carrière et un immense tube. Le fait que la Star Academy la remette en scène au début des années 2000 a été un grand plaisir pour moi et m’a permis en effet de me faire connaître à cette jeune génération. Mais pour moi, la chanson que je considère comme la plus belle et la plus importante de ma carrière, c’est Il est mort le soleil, sur des paroles de Pierre Delanoé, que Ray Charles – que j’avais fait pleurer quand il l’a découverte – a repris dans son répertoire avec The Sun Died, un immense cadeau ! Imaginez mon désarroi quand je le rencontre pour la première fois aux Etats-Unis et qu’il me demande ce que raconte cette chanson. Il fallait que j’explique « Il est mort le soleil » à un non-voyant ! Et je peux vous dire qu’il en a bien rigolé ! La version de Ray Charles en anglais est magnifique, parce qu’il l’interprète le cœur au bord des lèvres. Moi, c’était un cri, lui c’était dans la douceur. J’aime aussi beaucoup la version de Tom Jones.
Parlons du Gospel qui, dites-vous, sublime votre vie. Est-ce parce qu’il lie votre amour du chant et votre foi profonde ?
N.G. : Pendant des années, le Gospel n’a pas été beaucoup usité en France. Il ne faisait donc pas partie de ma culture. J’ai dû beaucoup travailler. Et puis lire Marguerite Yourcenar m’a beaucoup aidée. Émigrée aux États-Unis dès 1939, cette immense femme de lettres s’est également prise de passion pour les musiques noires américaines, auxquelles elle a consacré un recueil de poésies et traductions en 1984, Blues et Gospel. Grâce à elle notamment, j’ai compris ce que je chantais dans le Gospel et ça m’a donné un supplément d’âme. Mais ce qui m’a fait encore plus avancer, c’est de chanter du Gospel dans les cathédrales et les églises. Ça m’a remis dans un état de grâce, d’aptitude à la vérité. Tu respectes tellement le lieu que tu ne peux pas chanter de la même façon. Quand j’ai chanté pour la première fois à la Cathédrale d’Orléans, j’avais l’impression de sentir Jeanne d’Arc à côté de moi. Ça me rend à chaque fois tellement heureuse ! J’adore aussi chanter dans les églises françaises du Sud-Ouest. La voix y respire tellement !
Que retenez-vous de vos 50 ans de scène ? L’amour du public avant tout ?
N.G. : Oui, c’est de cet échange dont j’ai vraiment besoin. C’est pour cela que je n’ai pas choisi comme d’autres artistes de chanter sur internet en communication virtuelle pendant les confinements. Je ne peux pas le faire dans une salle vide, j’ai besoin de l’interaction et des contacts avec les gens. Moi, ce qui me plaît, c’est le spectacle vivant ! Ce qui compte, c’est le lien, voir les yeux qui brillent. Je me suis toujours nourrie de cela. C’est pour cela que j’aime chanter dans les églises et c’est pour cela aussi que j’attends avec grande impatience mes prochains récitals en novembre au Lido.
Quel est votre rapport au temps qui passe et à l’âge ?
N.G. : Certains jours, c’est la panique… et d’autres, je m’en fous royalement ! (rires) Parfois, je me dis « quelle horreur ! » quand je me trouve un peu bouffie dans le miroir, mais en même temps, je trouve cela normal de vieillir. Je n’ai jamais fait et ne ferai jamais de chirurgie esthétique, parce qu’on a plein d’autres moyens pour essayer d’avoir bonne mine. Je trouve qu’on n’a plus les mêmes yeux quand on touche au visage. Et puis, je fais attention à ce que je mange, avec beaucoup de produits bio. Et j’ai la chance d’avoir un compagnon adorable qui est un excellent cuisinier. Il a une propriété dans le Limousin où il cultive des fruits et légumes bio dans son potager, notamment du chou kale ! (rires) Bref, j’ai beaucoup de chance ! On fait donc attention à ce que l’on mange, on boit très peu et je marche trois fois par jour en promenant mon petit chien Léo. Quand j’étais plus jeune, j’étais très sportive, j’ai même fait des compétitions de natation et de gymnastique. Mais aujourd’hui, le mieux pour m’entretenir et rester en forme, c’est de marcher.
Quelle est votre recette du bonheur et votre philosophie de vie aujourd’hui ?
N.G. : Je suis pour toujours regarder devant moi, car quand je regarde en arrière dans mon passé, certaines choses m’énervent ! (rires) Je marche résolument en avant. Donc ma philosophie, c’est de toujours aller de l’avant ! On a tous des raisons d’être triste certains jours, notamment parce qu’on a perdu un être proche. Moi, ma règle, c’est de me lever le matin en me disant « Qu’est-ce qui va m’arriver de joli aujourd’hui ? » L’autre règle, c’est de cultiver le lien aux autres et de ne pas se replier sur soi. Moi, je le fais en rendant service aux êtres qui me sont le plus cher. Je résumerais tout cela en vous disant qu’il ne faut pas avoir peur de l’avenir. Il y a encore plein de belles choses à vivre !
Propos recueillis par Valérie Loctin.