Depuis le changement de formule du Lévothyrox – le traitement administré en cas de dérèglement de la thyroïde – qui a fait grand bruit, Valérie Foussier, médecin endocrinologue, rencontre en consultation à l’hôpital privé d’Antony de nombreux patients qui rendent responsables ce médicament de tous les maux. Et si la thyroïde n’était pas en cause ? Et si le problème se situait ailleurs ?
Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de faire ce nouveau livre ? Pour une meilleure information des patients depuis la crise du Lévothyrox ?
Dr Valérie Foussier : Rappelez-vous : Le changement de formule du Lévothyrox en mars 2017 a déclenché les foudres et a fait naître une panoplie de symptômes que les patients voulaient et veulent toujours attribuer à la nouvelle molécule. Cet incident notable, à l’origine de déséquilibres thérapeutiques, a permis de mettre en évidence un certain mal-être des patients, pourtant et très souvent sans aucun lien avec la thyroïde ou avec leur traitement substitutif. Il m’a semblé important de rétablir la vérité, afin que les cabinets des endocrinologues ne soient plus encombrés pour de mauvaises raisons. Le problème aujourd’hui avec les fausses informations qui circulent sur internet et les réseaux sociaux, c’est que les patients arrivent chez le spécialiste avec leur propre diagnostic qui est la plupart du temps complètement erroné. Il est donc important de diffuser la bonne information via des livres et des articles de presse dans des magazines comme le vôtre.
Trois millions de Français souffrent d’un dérèglement de la thyroïde. Comment rassurer ceux qui sont confrontés pour la première fois à cette maladie chronique ?
Dr V.F. : Il faut savoir que les femmes sont plus touchées par un dysfonctionnement de la thyroïde que les hommes, avec un pic d’apparition au moment de la ménopause. Cette maladie chronique, que ce soit une hyperthyroïdie ou une hypothyroïdie, n’est pas grave. Son traitement est simple mais demande une adaptation individuelle pour trouver le bon dosage, ce qui peut être rapide ou un peu plus long, selon les patients. Mais on y arrive toujours ! C’est selon moi la maladie hormonale la plus facile à traiter.
Depuis le changement de formule du Lévothyrox, le traitement substitutif, on entend cependant tout et n’importe quoi sur de potentiels effets secondaires. Résultat, au moindre mal-être, tous les patients pensent que la responsable, c’est la thyroïde et/ou son traitement ?
Dr V.F. : Parfaitement, c’est tout à fait cela. Et cela entraîne tout un tas de consultations qui n’ont pas lieu d’être. Cet encombrement des cabinets des endocrinologues pose un problème de santé publique, car pendant qu’on reçoit des patients qui pourraient simplement être rassurés et pris en charge par leur médecin traitant, on n’a plus le temps de s’occuper des patients qui ont un réel problème de santé, beaucoup plus grave. C’est donc tout l’objet de mon livre. Expliquer que la thyroïde n’est pas responsable de tous les maux !
D’où l’importance du diagnostic ?
Dr V.F. : Oui, tout à fait ! Le problème aujourd’hui, c’est que de nombreux médecins généralistes font des diagnostics à l’envers en demandant d’abord des bilans sanguins qui deviennent systématiques, alors que ce n’est pas toujours utile. Un bon diagnostic, c’est une triade, d’abord écouter les plaintes du patient, puis l’examiner et si besoin, en dernier lieu faire des bilans complémentaires. Concrètement, le diagnostic de dysfonctionnement thyroïdien repose sur trois données indissociables, à réaliser dans le bon ordre. Premièrement, l’interrogatoire du patient. Deuxièmement, la palpation de la glande thyroïde, à la base du cou, pour rechercher une augmentation de la taille appelée gloître, une modification de la souplesse ou un nodule. Et troisièmement, un dosage sanguin de la TSH sécrétée par l’hypophyse aux normes selon les laboratoires comprises entre 0,3 et 5 mUI/L.
«Le problème aujourd’hui, c’est que de nombreux médecins généralistes font des diagnostics à l’envers, en demandant d’abord des bilans sanguins qui deviennent systématiques, alors que ce n’est pas toujours utile.»
D’où les mauvaises interprétations des patients et parfois même des généralistes ?
Dr V.F. : Oui, car votre taux de TSH peut tripler d’un dosage à l’autre et rester encore dans les normes. C’est donc la concordance de ces trois données qui permet de porter un diagnostic, et non uniquement la variation de votre taux de TSH ! Le symptôme ne suffit pas non plus à poser un diagnostic : par exemple des palpitations pour une hyperthyroïdie ou une fatigue inhabituelle pour une hypothyroïdie. C’est pourquoi, en deuxième intention, la palpation est essentielle. Si la thyroïde est normale, il n’y a pas de maladie. Et si je découvre une anomalie à la palpation, il n’y a pas forcément de maladie non plus, mais il faut alors demander des analyses sanguines et demander un dosage, pour pouvoir poser ensuite le diagnostic sur la base de ces trois données essentielles. Evidemment, si le dérèglement de la thyroïde est avéré, c’est là qu’il convient de mettre en place le traitement substitutif au bon dosage.
Vous montrez que les patients consultent pour de très nombreux symptômes : fatigue, insomnie, prise de poids… Or, ces derniers ne cachent pas la plupart du temps un dérèglement de la thyroïde, mais autre chose…
Dr V.F. : En effet, la piste thyroïdienne peut parfois, et même souvent, être une fausse route. Chercher ailleurs permet de ne pas passer à côté d’une pathologie qui pourrait se traiter et améliorer la qualité de vie des patients. C’est pourquoi l’écoute des patients est primordiale.
Les symptômes cachent donc d’autres causes que vous détaillez dans votre ouvrage. Ça peut être notamment une dépression masquée.
Dr V.F. : Un patient qui se plaint d’une fatigue inhabituelle, de crampes, de sensation de froid et d’un ralentissement global pense qu’il souffre d’une hypothyroïdie. Or, ce sont également les symptômes d’une dépression masquée. Le problème, c’est que c’est plus facile de dire à son patient qu’il a un dérèglement de la thyroïde que de lui faire prendre conscience d’une dépression ! Pourquoi ? Parce que la dépression est un sujet tabou qui fait très peur. Pour le patient, la thyroïde est le coupable idéal quand il se cache la vérité et se trouve dans le déni de ses problèmes. Avant, je prenais le temps de lui expliquer… mais le patient repartait quand même furieux en claquant la porte. Maintenant, j’ai une autre méthode, je casse les idées reçues et je lui conseille s’il le faut d’aller consulter un psy.
Deuxième cause très classique, la ménopause ?
Dr V.F. : A la cinquantaine, quand la ménopause arrive, de nombreuses femmes attribuent à la thyroïde les symptômes qui sont en fait ceux de la ménopause. Sur ce sujet, les femmes sont plus à l’écoute mais elles tombent souvent de haut quand je leur explique ce qui leur arrive, et qui est normal à leur âge. Je me rends compte en fait que les femmes sont très mal informées sur la ménopause qu’elles considèrent comme une « maladie honteuse » et en plus, elles sont persuadées que ça va disparaître, que c’est passager !
Quels messages avez-vous envie de faire passer aux femmes à ce propos ?
Dr V.F. : Premièrement, la ménopause est un arrêt total, à 100%, du fonctionnement des ovaires. Il y a donc forcément carence hormonale. Les ovaires ne repartiront jamais, c’est définitif ! Deuxièmement, je suis 100% favorable à leur prescrire un traitement hormonal substitutif. C’est un mépris profond du droit des femmes que de leur dire qu’elles ne doivent pas être traitées. Personnellement, j’ai 57 ans, je suis sous traitement et je peux vous dire que je n’arrêterais jamais ! La ménopause arrive en moyenne vers 51/53 ans, à un moment où la femme est toujours en pleine activité professionnelle et doit à la fois s’occuper de ses grands enfants et de ses parents vieillissants, sans parler de son couple et de son foyer. Il est extrêmement difficile pour elle de tout assumer si elle souffre en plus d’une carence hormonale. Pour rester dans la course, il faut de l’essence, et cette énergie vient des hormones. Il faut donc lui en donner !
«Il faut toujours continuer de lire, car la lecture est un sport très complet pour le cerveau qui booste l’imaginaire, le décodage, la créativité, la concentration et la mémorisation.»
Toutes les femmes ne souffrent cependant pas de prise de poids, de bouffées de chaleur, d’irritabilité ou d’autres effets secondaires à la ménopause. Le traitement est-il nécessaire dans ce cas ?
Dr V.F. : Il existe en effet différents types de profils. De plus, il faut savoir que l’absence de règles ne veut pas dire forcément qu’on est ménopausée. Il faut faire un bilan sanguin pour le savoir. Il existe par ailleurs, des femmes ménopausées qui sont en surpoids et qui fabriquent des œstrogènes ailleurs. Il existe aussi des femmes ménopausées qui restent très minces, alors qu’elles ne prennent pas de traitement hormonal substitutif ; en général, ces femmes-là sont dans l’hyper-contrôle, elles font beaucoup de sport, se frustrent sur le plan alimentaire et ne sont donc pas épanouies. Elles ont même très souvent des antécédents d’anorexie. Chaque femme est différente, mais toute femme a le droit à vivre sa ménopause de façon épanouie. C’est donc une hérésie de ne pas lui proposer de traitement hormonal substitutif pour qu’elle se sente mieux ! Si c’est le cas de votre gynécologue qui vous refuse cette prescription, vous avez le droit d’en changer !
Vous expliquez que le mal-être ressenti peut aussi venir du numérique. Expliquez-nous.
Dr V.F. : Ce que l’on croit être une hypothyroïdie peut aussi venir d’un manque de sommeil, d’insomnies à répétition, dues notamment à un abus d’écrans et d’utilisation du numérique (mails, réseaux sociaux, applications, streaming, etc.). Cette intoxication digitale entraîne de la fatigue, du stress et un appauvrissement des fonctions cérébrales. Si vous faites ce constat, il est temps de réduire votre utilisation du numérique, notamment l’abus de lumière bleue avant de vous coucher, de remplacer toutes ces heures devant les écrans par des promenades à la lumière naturelle, et de remettre en place de vraies nuits de sommeil de 7 à 8 heures.
Ces symptômes peuvent aussi venir de la peur et du refus de vieillir ?
Dr V.F. : C’est une maladie des temps modernes. On ne veut plus vieillir et l’on se lance dans un culte de l’esthétique qui ne rend pas heureux. On voit ainsi de très nombreuses femmes qui enchaînent les opérations de chirurgie esthétique ou les injections de toxine botulique, mais qui ne sont jamais épanouies et satisfaites du résultat. Quand on se sent mal dans sa peau, qu’on n’accepte pas son âge, dépression et stress ne sont pas loin. Là encore, je conseille à ces patientes de se faire aider et de consulter.
Le sentiment de mal-être des patients peut également venir de la violence du monde extérieur ?
Dr V.F. : Oui, pour de multiples raisons, tant personnelles et privées (comme un deuil, un divorce, un chômage, un burn out…) ou plus générales (la peur du coronavirus, du terrorisme et des attentats, des accidents climatiques…). Dans notre société, le sentiment de mal-être est en train de monter. C’est impressionnant ! Tout ce mal-être peut causer des insomnies, de la fatigue, du stress, de la prise de poids, des pertes de mémoire… et là encore, ces patients viennent me consulter pour la thyroïde, mais force est de constater que le problème vient d’ailleurs…
Vous proposez de déprogrammer et de reprogrammer le cerveau. Pourquoi ?
Dr V.F. : Face à ces patients qui souffrent d’un mal-être, mais pas d’un dérèglement de la thyroïde, j’emploie la méthode de la déprogrammation, en cassant leurs idées reçues et en leur expliquant la vraie cause de leurs problèmes. Ça marche à 80%, ce qui n’est pas si mal ! Pour les 20% restants qui sont pour la plupart en véritable dépression, ça ne fonctionne pas, s’ils restent dans le déni. Il y a en effet des dénis plus difficiles à faire tomber que d’autres…
En fait, votre métier d’endocrinologue devient de plus en plus celui d’un psychologue bienveillant ? Ça vous fait plaisir ?
Dr V.F. : En effet, vous avez tout compris ! Très honnêtement, ça me fait très plaisir quand je sens les patients réceptifs, et que je peux ainsi les aider à aller mieux, ce qui est ma vocation de médecin. Quand j’arrive à créer la connexion et le lien, c’est même extraordinaire ! En revanche, face aux patients qui restent dans le déni, je ne peux rien. Ça m’attriste évidemment, mais inutile de persévérer, si je vois que je ne pourrai rien changer.
En conclusion, quel message essentiel voulez-vous passer à nos lecteurs ?
Dr V.F. : Arrêtez de lire tout et n’importe quoi sur internet, arrêtez d’écouter les autres, écoutez plutôt les signaux de votre corps ! Celui-ci vous envoie des messages parfois très simples qu’il suffit de suivre pour aller mieux. Si vous êtes fatigué, reposez-vous. Quand vous avez soif, vous buvez, quand vous avez faim, vous mangez. Faites de même quand vous êtes fatigué ou quand vous avez besoin de dormir. Bref, écoutez-vous !
Propos recueillis par Valérie Loctin.